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Fabrizio Lupo, Carlo Coccioli (1952)

Publié le par Jean-Yves Alt

Si le Satyricon de Pétrone est probablement le premier roman consacré à l'homosexualité, l'Italie n'a pas produit beaucoup d'œuvres sur le sujet par la suite. Pour l'époque contemporaine, il faut attendre 1952 pour que soit publié en France, Fabrizio Lupo de Carlo Coccioli.

Mi-roman, mi-manifeste, cette œuvre du type L'étoile rose peut aujourd'hui paraître ridicule avec son style ampoulé. Mais il faut la replacer dans son époque : aucun éditeur italien n'eut alors le courage de publier ce livre qui fut finalement édité bien plus tard à Milan chez Rusconi.

Fabrizio Lupo est un jeune peintre qui rencontre l'amour à Paris en la personne de Laurent. Le premier s'accepte, le second pas et se suicidera pour échapper à la malédiction homosexuelle. Fabrizio n'y survivra pas et se suicidera aussi.

Cette love-boys-story se déroule dans le petit monde privilégié du St-Germain-des-Prés d'alors. Les garçons homos sont beaux comme des dieux, intelligents, obligatoirement artistes et riches. Le héros parle trop pour faire vrai, même pour un Italien.

« J'ai fini à l'instant de relire le Demian de H. Hesse, que tu m'as prêté. Je t'y ai retrouvé. Je t'ai retrouvé tel que tu étais au Marcusot, en cet après-midi du début de notre connaissance, quand tu me parlais de notre signe. Je suis maintenant si fier et si heureux ! Tu as vu : vers midi le soleil s'est montré. Chaque fois que le ciel opaque de cet hiver précoce s'ouvre pour livrer passage à un rayon de soleil, la joie qui m'envahit a une saveur de jeunesse : sans doute parce que les choses éternelles et vraies sont toujours nouvelles, et qu'elles ignorent la tristesse ou la lassitude. C'est une joie pareille à celle que j'éprouve quand la moindre chose (un sourire de toi, une de tes lettres, te voir arriver, un billet comme celui que j'écris, un mot, un rire, une tendresse de toi) me fait retrouver, en cet automne parisien, le sens de ce qui nous lie. Je me dis alors que jamais personne ne pourra nous séparer, car nous avons le signe. » (p. 532, Livre de Poche)

Le ton est souvent arcadien dans la peinture des états d'âme de Fabrizio qui pleure comme il pisse et ne peut baiser sans prier avant, pendant et après. Plus exactement, dans ce roman, on ne baise pas, on fait l'amour, comme on fait de la littérature et pas de l'écriture à l'estomac.

Carlo Coccioli utilise le procédé de l'histoire dans l'histoire, celle d'un ange qui, comme dans Théorème, séduit tous ceux ou celles qu'il approche, ainsi que l'artifice gidien de l'écrivain qui raconte son livre en train de s'écrire.

Mais en dépit des artifices et de l'écriture, de l'oscillation entre le méli-mélo et la relation clinique d'une passion maladive, on finit, pourtant, par se laisser prendre par l'histoire.

■ Fabrizio Lupo, Carlo Coccioli (1952), Éditions de La Table Ronde/Le Damier, 1952 ou Le Livre de Poche, 1980


Lire l'article de André Calas : La véritable histoire de Fabrizio Lupo (Revue Arcadie n°129, septembre 1964)

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J
Résumé critique : Fabrizio Lupo, jeune peintre tourmenté par ses pulsions homosexuelles débarque un jour chez l'écrivain Coccioli. Il lui raconte son histoire d'amour avec Laurent, lui laisse son journal et son roman. En le quittant, il lui dit énigmatiquement qu'il sait qu'il l'aidera. Et c'est ainsi que se mêlent deux histoires, celle de Laurent et Fabrizio et celle imaginaire dans un monde à la frontière du fantastique d'un mystérieux enfant aux identités multiples qui séduit toutes et tous sur son passage en recherchant l'Amour.<br /> Fabrizio Lupo, publié en 1952, est un très beau roman poétique qui est aussi un véritable plaidoyer pour l'amour gay. L'auteur navigue toujours entre deux eaux. Désir de vivre et désir d'absolution de Dieu. Il essaye désespérément de se dédouaner de la condamnation de l'Église.<br /> Un des principaux intérêts de cette histoire est la mise en perspective par Coccioli de la vie de bohème de beaucoup de gays, leur Odyssée qui les voit passer d'un amant à un autre, jamais plus d'une fois, à l'histoire d' « Amour » que Fabrizio idéalise avec Laurent qui pourtant essaye de vivre en parallèle son Odyssée des corps. C'est toute la problématique de ce roman qui essaye de donner des réponses à une question existentielle centrale du monde gay. Le droit à l'Amour, le droit à la vie de couple et aux enfants. Ce désir d'enfant, de normalité, il souffle tout au long du roman et porte la narration. Fabrizio en effet se veut l'exception, uniquement en recherche d'amour loin de ces pissotières parisiennes, lieu de stupre et de débauche. C'est donc un roman étonnamment moderne, d'un écrivain sensible à la cause Gay avant son heure dans son désir d'acquérir une liberté dans l'amour, loin de l'image de la victime tourmentée soumise encore et toujours aux bourreaux de l'adolescence.<br /> <br /> Biographie<br /> Né à Livourne le 15 mai 1920, Carlo Coccioli passe l'essentiel de son enfance en Libye, où travaille son père officier. Il part ensuite étudier en Italie puis, lors de la Seconde Guerre mondiale, se réfugie en Toscane avec sa mère. En 1943, il fait partie des résistants et est capturé par les Allemands. Il s'évade de sa prison de Bologne et dans l'immédiat après-guerre il est diplômé en langues et littératures orientales à Naples. En 1952, il publie Fabrizio Lupo à Paris, en français, puis il s'installe au Mexique en 1953 et se convertit au judaïsme. Carlo Coccioli écrit couramment en italien, en français et en espagnol et se traduit donc lui-même. Il faut attendre 1978 pour que Fabrizio Lupo soit édité en italien. Après avoir passé cinquante années au Mexique, partagé entre l'écriture et la vie avec son fils adoptif, il meurt le 5 août 2003 à Mexico. Carlo Coccioli est le parrain de Manuel Valls.<br /> <br /> Les premières lignes<br /> Le 13 janvier 1951, vers midi, un jeune télégraphiste frappa à la porte de mon appartement florentin, via Pietrapiana, et me tendit une enveloppe : c'était une lettre express. J'étais sur le point de sortir et pressé, je le plaçai sur ma table et n'y pensai plus. Quand je suis rentré à la maison à onze heures du soir, je l'ai regardée et j'ai vu qu'elle portait le cachet de la ville même ; l'adresse était écrite à la main, mais je n'ai pas reconnu l'écriture. J'ouvris alors l'enveloppe et lu les lignes suivantes tracées sur un feuillet rouge :<br /> « Je vous supplie de me fixer un rendez-vous le plus tôt possible. Mon numéro de téléphone est le 93 633. Je vis dans l'attente de votre appel. Fabrizio ». © Publié en France par La Table Ronde, Traduction de Louis Bonalumi<br /> In 100 chefs d’œuvre de la littérature gay, Jeff Keller, Textes Gais, 2020, pp. 64-66
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M
Cher Monsieur, merci de m'avoir fait connaître le nom de Carlo Coccioli ainsi que les personnages de son roman. Je ne trouve pas que le style soit "ampoulé" dans l'extrait que vous donnez. Le trait est certes trop appuyé ; il est tributaire de son époque, en effet. Ce que vous appelez "artifices" participent sans doute un peu naïvement des "formes" empruntées à de plus grands écrivains. Pour ma part, j'aime (quoiqu'en petite quantité) cette écriture moins sèche et un peu surannée.<br /> Bien à vous, cher Monsieur. Je pars à la recherche de ce roman, et surtout, de ses personnages.<br /> Un admirateur de votre blog !
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T
Vous ne pouvez pas juger un livre paru dans les années 50 à l'aune de ceux parus récemment. Je me souviens qu'à l'époque, ce livre m'avait bouleversé et enchanté, mille fois plus que Les Amitiés Particulières.
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J
Cher monsieur J.-P. Tapie, je dis, à peu près, la même chose que vous dans mon second paragraphe. Après, il n'est pas interdit d'en refaire une lecture aujourd'hui. Cordialement. Jean-Yves Alt