Le dragueur de Dieu, Conrad Detrez
Dragueur de Dieu ? Alliance opportune de termes antinomiques ou symbole d'une ambiguïté ?
« Le dragueur de Dieu » décrit tranquillement l'itinéraire d'un narrateur à la poursuite d'un ami, Victor.
Un soir qu'il erre dans les bois, Victor, jeune novice, saisi d'une extase religieuse, ressent l'étreinte d'un être inconnu. Nul doute pour lui, il s'agit de l'ange Amour dont a rêvé son enfance. Confondant les troubles de la chair et les saints transports de l'âme, Victor n'a de cesse de renouveler l'expérience. Il abandonne le couvent et s'engloutit dans les remous démoniaques du Paris des enfants de Sodome. Son ami, le narrateur, part à sa recherche.
Le narrateur est un individu « hors-jeu », qui assiste à tout mais ne participe à rien, comme si le temps et ses farces avaient dévoilé, avant le départ, le dessous des cartes. Ce désespoir du « connu d'avance » sera l'occasion de poser un étrange regard passif sur le monde homosexuel, et, plus particulièrement sur la frange sociale de l'homosexualité qui rassemble les laissés-pour-compte. Dans ce choix de l'observation, Conrad Detrez offre une tendre ironie et la chaleureuse lucidité de la fraternité.
Le Dieu, que drague Victor, a forme d'ange : image palpable et comestible, placée entre un mystère difficile à appréhender et la troublante séduction de l'homme de chair. Victor autorise la rencontre du ciel et de la terre : outre son corps brûlant il attend les mêmes délices divins.
À partir du souvenir de son errance dans les bois, l'ange sera la caution de tout ce que la vie offre de vibrant et de fou ; l'ange sera le messager altéré du rêve impossible, la mélopée autour du mot « amour » :
« Il en retint qu'Amour, ange et Dieu provenaient des mêmes hauteurs. »
L'ange c'est aussi le sourire ironique de l'écrivain qui sait ce que l'attente du garçon signifie de toujours inaccompli. Il représente le double jeu permanent entre détresse et générosité. L'ange joue toutes les facettes de ses ailes illusoires :
« C'est ainsi que des anges se donnent à des élèves aviateurs et à des parachutistes rayonnant de chasteté... »
D'autres anges encore hantent les pages du roman : ceux où jeunesse et virilité donnent un ersatz de divinité.
À la recherche de Dieu le roman de Detrez ? Plutôt l'ironie violente de cette quête. Brutalité cachée qui glisse comme un doux fatalisme :
« Les baisers qu'il attendait du ciel, il estima plus sûr de les chercher sur terre. »
« Le dragueur de Dieu » est un conte en mezza-voce sur la seule affaire de la vie : l'autre. Et, donc sur le mal à vivre, pour débusquer la recherche de l'amour là où elle ne s'avoue jamais.
Conrad Detrez détruit la prétention humaine à s'adjoindre Dieu, coûte que coûte, pour oublier une vie que les hommes n'ont pas su transfigurer. Aimer est la faim éternelle qui nous tenaille :
« Il n'est pas bon que l'homme soit seul. »
C'est ce cri que répercute Conrad Detrez, dans ce roman puissant et tendre qui ne se finit pas. Ces paumés seront recueillis par un « jardinier ». Clôture sur une communauté de la promiscuité et du silence.
■ Le dragueur de Dieu, Conrad Detrez, Éditions Calmann-Lévy, 1981, ISBN : 2702103901
Du même auteur : La ceinture de feu - La mélancolie du voyeur
Dans ce roman, l'auteur livre un portrait à charge d'André Baudry (surnommé « le Père, Luc ») et de son club Arcadie : « À "l'Ange vert" on en parle mais pour s'en moquer. Ils inversent les lettres, ils disent : le Père Cul. Ce père-là dirige un groupe de catholiques. [...] Chez le Père Luc, la danse figurait parmi les activités principales [...] il n'avait pas eu envie d'y retourner : il jugeait le Père Luc trop autoritaire. Cet homme, dont on ne savait pas très bien s'il était vraiment prêtre, avait fondé ce club afin de venir en aide aux chrétiens qui n'attirent pas les chrétiennes [...] favorisait la naissance d'amitiés entre croyants et les surveillait [...] prononçait "l'allocution de la semaine" et mettait les convives en garde contre le laisser-aller, la gaudriole. » (pp. 136-138)