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Le châtiment de sodomie sous l'inquisition par Raphaël Carrasco

Publié le par Jean-Yves Alt

L'Inquisition espagnole […] fut instaurée au début du règne des Rois Catholiques et à la demande de ces derniers, afin d'extirper des royaumes d'Espagne tout ferment d'hérésie qui aurait pu compromettre le succès de la construction unitaire à laquelle ces monarques voulaient vouer tous leurs efforts.

Par hérésie, les Rois Catholiques et le Souverain Pontife entendaient pour lors essentiellement l'hérésie judéo-converse, autrement dit, le judaïsme secret de nombre de Juifs baptisés ou de leurs descendants.

Mais ce qui est peut-être moins connu, c'est qu'à partir des années 30 du XVIe siècle, une fois le filon judéo-convers épuisé, le Saint-Office fut tout naturellement conduit à étendre son rayon d'action, passant de la répression des Nouveaux-chrétiens à la surveillance des Vieux-chrétiens. Il se mit ainsi en place une efficace poursuite de tout un ensemble de délits au caractère hérétique plus ou moins marqué : les superstitions, la bigamie, la sollicitation durant l'acte de confession et les « propositions », c'est-à-dire des opinions vaguement ou fortement erronées, blasphématoires, choquantes ou scandaleuses. Cette nouvelle vocation prit de telles dimensions, que, en termes globaux, jamais plus après 1530 la répression de l'hérésie proprement dite – judaïsme, mahométisme et protestantisme – n'atteindra 50 % de l'activité des tribunaux.

L'Inquisition s'était donc transformée en un redoutable instrument de contrôle idéologique au service de l'État et, pour le dire de manière aussi brève qu'imprécise, de la Contre-Réforme. Dans cet ample éventail de nouvelles transgressions […], il convient d'attirer l'attention sur la place importante qu'allait occuper la sexualité. […]

Pedro Berruguete – L'Inquisition à l'œuvre (détail) – vers 1490

Le Saint-Office prît en charge la répression de la sodomie, considérée depuis saint Thomas comme le pire des péchés de luxure. La sodomie constituait en outre, avec l'hérésie, le crime de lèse-majesté et la fabrication de fausse monnaie, un immense attentat contre la communauté tout entière, que chacun était tenu de dénoncer, qu'aucune juridiction d'exception ne pouvait se réserver et qui rendait éternellement infâme celui qui se laissait aller à le commettre, ainsi que ses descendants. La Pragmatique des Rois Catholiques de 1497, condamnant les sodomites à la mort par le feu, résume parfaitement une telle conception. Voici l'essentiel de ce texte fondamental :

« [...] car parmi les péchés et les délits qui offensent Dieu notre Seigneur et déshonorent la terre, il en est un de particulièrement grave, commis contre l'ordre naturel. Les lois et le Droit doivent s'armer pour le châtiment de cet abominable délit, indigne d'être mentionné, destructeur de l'ordre naturel, puni par le jugement divin. Il fait perdre la noblesse, mollit le cœur et engendre un manque de fermeté dans la Foi. Ce crime signifie l'abandon de l'obéissance de Dieu, lequel dans sa colère envoie contre l'homme des pestes et autres tourments ici-bas. Ce crime fait rejaillir sur les gens et les contrées où il est toléré grande injure et opprobre. [...] Et puisque selon le Droit et les lois positives promulguées avant ce jour il est ordonné certaines peines à l'encontre de ceux qui de la sorte corrompent l'ordre de nature et en sont les adversaires, considérant que les peines antérieurement établies sont insuffisantes pour extirper et châtier complètement un si abominable délit, dans notre volonté de rendre sur ce point raison à Dieu notre Seigneur [...], nous établissons et ordonnons que toute personne, de quelque état, condition, prééminence ou dignité qu'elle soit, qui commettrait le délit abominable contre nature, en étant convaincu selon la forme de preuve qui de Droit est requise pour prouver le délit d'hérésie ou le crime de lèse-majesté, soit brûlée dans les flammes du feu [...] et perde [...] tous ses biens. () »

Nous ne retiendrons que deux aspects de ce texte, au demeurant fort clair :

■ En premier lieu, il convient de remarquer le rapprochement subtil qu'opère le législateur entre la sodomie et l'hérésie. Désormais la sodomie sent l'hérésie d'une double manière : par la forme de preuve requise d'abord, et aussi parce qu'un individu qui commet un péché aussi abominable ne saurait être excellent chrétien. […]

■ En deuxième lieu, nous voudrions souligner l'allusion aux « pestes et autres tourments » que Dieu envoie ici-bas pour châtier les communautés où le péché abominable resterait impuni. Ainsi, avec le thème du châtiment surnaturel du péché, la sodomie se trouvait-elle incluse dans les grandes phobies de l'imaginaire collectif. Le sodomite, porteur de plaies millénaires, était désigné face à la communauté des fidèles comme un bouc émissaire en puissance. […] Les dépositions contenues dans les procès des sodomites, […] révèlent par bien des traits l'existence d'un ample consensus populaire.

in Violences sexuelles [Chapitre : Le châtiment de la sodomie sous l'Inquisition, Raphaël Carrasco, pages 53 à 69], Éditions Imago, 1989, ISBN : 2902702558


() : Novisima Recopilaciôn de las Leyes de Espafia, Ley I, Tit, XXX, Lib. XII, Madrid, Boletin Oficial del Estado, 1976, t. V, pp. 427-428. Traduction de Raphaël Carrasco


Lire l'article complet de Raphaël Carrasco (Format pdf)


Lire encore : Répression des sodomites aztèques

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