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Les dernières clientes, Yves Navarre [théâtre]

Publié le par Jean-Yves Alt

ou dans un sauna, huit garçons nus

Dans un bain de vapeur, qu'est-ce qui se pourrait se passer si brusquement quelqu'un, juste avant la fermeture, une personne, un être humain, se mettait à parler ? Telle est la question, à laquelle s'intéresse « Les dernières clientes ».

Ces « Dernières clientes » sont bien les derniers clients d'un établissement de bains, un dimanche soir, avant la fermeture, avant le quotidien de tout un chacun, la semaine, le boulot, comme tout le monde.

Si le titre de la pièce est au féminin, il ne s'agit pas d'une ironie répressive : les huit hommes de cette pièce - Vicky, Pierre, Mehdi, Eric, Dave, Sébastien, Laurent et Bob - font tout pour être ce qu'ils sont, être, tout simplement, dans une société qui ne rêve que d'avoir, avoir du charme, du fric, du succès, avoir l'autre aussi et le tromper quand on n'arrive pas soi-même à une vérité, pas la grande et sacro sainte Vérité que certains croient détenir, mais la vérité de tous les jours.

Comme dit Vicky « le bonheur, c'est ce qu'on en fait ». S'il le chantait, il aurait pu ajouter « ce n'est rien d'autre, tu le sais » ou bien « au jour le jour, mon amour ».

Cette pièce n'a pas volonté délibérée de choquer, elle aborde le désir de parler et faire parler les autres, alors que ses personnages sont le plus souvent habitués à se taire, à se terrer, ou bien à paraître ce qu'ils ne sont pas.

Le vrai scandale « est » dans la parole. Vicky parle. Il ne prend pas la parole au nom des autres, mais au nom de lui-même, il ne se moque pas des autres, mais avant tout de lui-même, il cherche l'autre, la rencontre, une compagnie possible.

Possible ?

Et les autres sont, tour à tour, invités à être ce qu'ils sont, eux aussi, même s'ils demandent continuellement à Vicky de se taire quand il a le culot de souligner, lieu commun, évidence, que toutes les minorités opprimées sont avant tout des minorités qui s'oppriment.

« Les dernières clientes » frappe l'imagination et provoque l'émotion. C'est pour cela que j'aime cette pièce. Plus qu'à apprendre, qu'à comprendre, il y a à ressentir : des contacts, des refus d'être précis, des envies de l'être… Ce n'est pas objectif bien sûr, le texte d’Yves Navarre est riche en possibilité d'interprétation.

« Les dernières clientes », c'est des amours, plein d'amours : l'amour vers tous de Vicky, l'amour de la vie de Mehdi, l'amour-tendresse de Bob pour Vicky (ou pour lui-même peut-être), l'amour protection-de-soi de Dave, l'amour-prison d'Eric. Enfin on les connaît, ces amours. On les rencontre partout, c'est la vie.

Dans un sauna profond, sous terre, un dimanche soir, huit gars nus, c'est du théâtre.

■ Les dernières clientes, Yves Navarre [théâtre], in Théâtre 2, Editions Flammarion, 1976, ISBN : 208060886X


Quelques ouvrages d'Yves Navarre : Biographie - Ce sont amis que vent emporte - Fête des mères - Hôtel Styx - Le jardin d'acclimatation - Kurwenal ou la part des êtres - L'espérance de beaux voyages - Louise - Le petit galopin de nos corps - Premières pages - Une vie de chat - Romances sans paroles - Les dernières clientes [Théâtre] - Portrait de Julien devant la fenêtre - Le temps voulu - Killer - Niagarak - Pour dans peu

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