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Raisonnable et humain par Axel Kahn

Publié le par Jean-Yves Alt

«Les gendarmes m'apprirent que papa s'était suicidé. Il avait été retrouvé sur la voie de chemin de fer, près de la gare de la ville de Mantes, et m'avait laissé une lettre trouvée à la place qu'il occupait dans le train dont il s'était jeté...»

"Je m'adresse à toi, Axel, comme à celui de mes fils le plus capable de faire durement les choses nécessaires…"

La lettre se terminait par cette ultime injonction :

"Sois raisonnable et humain !"

Axel Kahn avait alors 26 ans, il était interne à l'Hôtel-Dieu de Paris. […] Fort d'une érudition placée très au large des courants propres à sa discipline et convaincu que celle-ci «est au cœur de maints questionnements individuels et fantasmes sociaux...», il fera de son engagement dans les débats de bioéthique un choix dont il affirme qu'il fut pour lui une manière de tenter de respecter la feuille de route léguée par son père.

«Il ne se passe pas une seule semaine sans que je me pose cette question, et sans que je ne sois jamais capable d'y répondre : quel eût été le jugement de papa ? […]»

«Et d'ailleurs quel sens donner à cette injonction ? Je me suis efforcé de répondre à cette dernière question en en explorant les fondements mêmes. La pensée est fille de l'humanité, forme particulière qui a émergé de la matière.»

«Mais qu'est-ce que la vie ? Qu'est-ce que l'humain ? Quelles sont ses manifestations les plus spécifiques ? Comment peuvent-elles conduire aussi bien à la démesure du Bien qu'à celle du Mal ?» […]

Pour sa part, l'agnostique, qu'il reconnaît être, confère à l'émergence de la première cellule vivante une aura toujours mystérieuse et en tout cas «peu prévisible à partir d'une connaissance même approfondie de ses constituants».

À l'opposé, en revanche, la mort en soi ne lui semble pas du tout mystérieuse : elle est la fin de la vie, phénomène immédiat, mesurable et reproductible... Pour l'homme – qui sait le terme inéluctable de son destin –, il s'agit du pivot structurant de sa pensée et de son existence. Pour Axel Kahn, l'évidence de la béance qu'elle représente engloutit et dissout pour toujours et le corps et l'esprit.

«En définitive, dans la mesure où elle apparaît comme une impensable dépossession, l'idée de la mort renvoie l'agnostique à son seul devoir de se préoccuper de la vie, renouant là avec la pensée d'Epicure.»

C'est-à-dire à la tentation d'être raisonnable et humain, même si la vie est dépourvue de toute finalité particulière.

Aussi, cet agnostique, lorsqu'il parle de la liberté de mourir ou de l'euthanasie, déploie-t-il des trésors compassionnels, trouve-t-il les termes d'une séméiologie sensible qui seule peut estimer la valeur du temps de l'autre, le degré de sa souffrance, l'intégrité de son être. […] L'essence particulière de l'homme lui confère-t-elle des droits spécifiques, à l'exclusion des autres espèces animales ? […]

Quant à l'avenir ? «Il y a quelque chose qui cloche dans le bel optimisme du progrès, pour qu'il ne soit plus guère partagé aujourd'hui... En réalité, l'idée d'un avenir au mieux incertain et au pire fort compromis semble dominer.» […]

Extrait du Figaro Littéraire, article de Yves Pouliquen, 22 avril 2004

■ Raisonnable et humain, d'Axel Kahn , Editions Nil, 2004, ISBN : 2841113035

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