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Inassouvie : roman de mœurs, Charles-Etienne et Albert Nortal (1927)

Publié le par Jean-Yves

Adriane Le Thourneur est en meilleurs termes avec les sœurs du couvent de l'Incarnation, un pensionnat qui accueille des jeunes filles. Les pensionnaires la nomment Mère Spirituelle et parfois Minerve. Ce qui ne l'empêche nullement de faire déborder la mission qu'on lui a confiée en prenant du plaisir avec les belles jouvencelles :



« Là, jaillissait la source des sentiments extrêmes, communs aux couventines qu'exalte la piété, que fatiguent l'étude et la méditation, que détraque le vice. L'instinctif besoin de s'aimer éclosait dans cet endroit divin sous la chaleur des jeux passionnels. Les bonnes Sœurs ornent ceux-ci, avec autant d'hypocrisie que d'à propos, de la savoureuse épithète "d'amitiés particulières"... » (p. 64)

 

Excellente cantatrice, Adriane profite de ses talents pour être le plus souvent en compagnie des jeunes filles ; en particulier, avec une plutôt naïve, Emmeline Vicq, qu'elle surnomme Minon-Minette.

 

Pour incomplet qu'il lui paraît, le plaisir qu'Adriane reçoit avec ces jeunes filles lui semble préférable à tous autres. Elle n'envisage pas, sans une certaine appréhension, de quitter définitivement cet asile de jeunesse, où elle a passé des années si heureuses, pour les tourments de la vie privée.

 

« À l'Incarnation, la règle tolérait que les petites, à leur choix, se désignassent parmi les anciennes, une maîtresse-adjointe, une "Mère Spirituelle", ayant pour mission, d'aider, de diriger, d'admonester. Sur la poupée vivante, l'aînée fortifiait son instinct maternel. Ainsi, la cadette trouvait-elle entre ses parents et ses institutrices, une maman-tampon qui était à la fois une amie sérieuse, instruite, réfléchie. » (p. 29)

 

Alfred Vicq (dit Frédy), frère d'Emmeline, est un jeune homme très porté sur le sexe qu'il expérimente le plus souvent possible. Avec son ami, Henri Chauveron, il adore parler d'amour avec la brutalité goulue de son jeune âge :

 

« Leurs propos révélaient la même fougue piaffante, passionnée, plus discrète chez Chauveron que chez Frédy, peut-être parce qu'il était plus jeune, moins hardi. L'autre, au contraire, ne tarissait pas. L'étreinte, pour lui, n'était qu'une bousculade joyeuse où ses vingt ans de mâle solide trouvaient un exutoire facile. Soucieux de son seul plaisir, il conquérait à la galopade. Chauveron l'admirait sans réserve. Toute leur conversation roulait sur cet éternel sujet : l'amour.. » (p. 40)

 

Alfred aimerait bien ajouter Adriane à son palmarès. Mais il sait – à partir d'une photo compromettante qu'il a trouvée – que la jeune femme ne sera pas facile à mettre dans son lit :

 

« Si elle n'était pas lesbienne, cette Adriane, pour elle, je plaquerais volontiers toutes les Silvérie du monde !...

— Décidément, tu parais mordu... Je te comprends. Entre nous, mon vieux, je te l'avoue, elle m'excite cette garce-là. Si je la tenais au coin d'un drap, en voilà une à qui je ferais passer....

— Le goût, du pain ?...

— Non, répliqua le terrible Frédy, celui des miches… Le substantiel repas auquel je la convierais, la changerait de toutes ses lècheries de marmitonnes. Quand j'imagine ça, mon sang ne fait qu'un tour. Tudieu, quelle curée !... » (p. 43)

 

« Instinctivement, elle [Adriane] redoutait l'homme. […] Il convenait, cependant, qu'elle se résignât au mariage. Se croyant incapable d'y répondre, les platitudes conjugales, d'avance, lui soulevaient le cœur. Pourtant, tout a une fin. Nommé sur place commandant, lieutenant-colonel, colonel, son père était visé par le rajeunissement des cadres. La retraite n'était qu'une question de mois. Alors, il faudrait quitter Deûle. Que faire ?... Persévérer dans le célibat ? La situation serait fausse et, plus tard, ridicule. Devenir une vieillotte à la façon de Tante Fé, pouah ! Mener une existence libre, devenir cantatrice, vivre son rêve, ce serait admirable, mais tant que son père vivrait, ne s'opposerait-il pas obstinément à cette vocation ? Épouser quelque officier, faire gaspiller par un Don Juan de caserne la pauvre dot que l'on croyait appréciable et dont les trois quarts avaient été engloutis par les fantaisies du colonel, cela la révoltait. Quels bénéfices pouvait-elle espérer d'une telle union où sa féminité serait impitoyablement labourée ? Elle écartait la possibilité des enfants, l'engrossement lui faisant horreur. Le mieux serait donc de rencontrer un homme riche, âgé, qui sur le chapitre "sens" ne témoignerait que de faibles exigences... Elle ne voulait pas d'un enrichi ; par contre, des armoiries ne lui eussent pas déplu. D'ici quelques années, qui sait ? le veuvage arriverait à point. Cardiaque et faiseur de ripailles, son père ne pouvait aussi durer très longtemps. Riche, sûre du lendemain, elle pourrait enfin, orpheline et veuve, donner à son existence le libre cours auquel elle aspirait... » (pp. 65-66)

 

C'est ainsi qu'Adriane Le Thourneur jette son dévolu sur le Comte de Sermoize :

 

« Comtesse de Sermoize. Pourquoi pas ?... » (p. 67)

 

Ce projet de mariage n'aboutira pas : Alfred Vicq et sa mère préviennent le fils Sermoize en lui présentant des éléments sur les mœurs de sa future belle-mère.

 

« Alfred brandissait la fameuse photo déjà exhibée. En outre, depuis peu, il possédait un autre document, non moins écrasant contre "Mère Spirituelle". Un livre avec dédicace de cette dernière, et une lettre, datée d'avril dernier, manifestement compromettante.

Le volume était un magnifique exemplaire de Gamiani avec des gravures en taille-douce d'une licence incroyable, où la haute écriture de Minerve avait tracé ces mots :

— "À mon Lulu chéri, souvenir d'une belle journée", — suivis d'une orgueilleuse signature : Pallas. » (p. 131)

 

Adriane Le Thourneur n’a alors de cesse de se venger d'Alfred Vicq : elle provoque une situation où les deux amis – Frédy et Henri – passent pour des invertis. Ce qui provoque l'effroi de Madame Vicq, mère. Alfred doit alors convaincre sa mère de la vengeance dont il a fait l'objet :

 

« Mme Vicq poussa un soupir de soulagement. Elle comprenait que son Frédy lui disait la vérité, qu'il était normal : c'était l'essentiel !... À ses yeux, cela seul importait. Le reste n'était que bagatelles :

— Ah ! mon pauvre gosse !... J'ai eu si peur. Tant que tu étais au lycée, ce fut ma préoccupation. Les amitiés de collège, les camaraderies louches, c'est ce que je craignais le plus. J'ai tout fait pour que tu aimes la femme et je m'en vante. Tant mieux si j'ai pu te soustraire à la contagion.

— Tu as eu raison. L'école est un milieu où fermente le germe de toutes espèces de vices. D'autant qu'à l'âge de la puberté, le mystère du sexe commence à exercer un attrait dangereux. Les potaches ne voient dans la sensualité que sale turpitude et polissonnerie. Ils s'y adonnent avec emportement, en petits sauvages. Tu as été une mère épatante puisque, dès mes quinze ans, tu as trouvé le moyen de me donner des distractions saines offrant le minimum de danger. » (pp. 227-228)

 

Avant le départ définitif d'Adriane, la famille Vicq subit une nouvelle épreuve signée Minerve

 

Dans ce roman, l'homosexualité est vue aux yeux des autres comme une déchéance ; la rédemption - aux yeux de la concernée - forcément difficile ne peut passer que par le mariage. Ce qui n'empêche nullement qu'Adriane Le Thourneur reste un personnage attachant en quête de son identité malgré quelques traits caricaturaux brossés par l'auteur.

 

■ Librairie Curio éditeur, Collection : L'amour hors la loi, volume 4, 1927

 


Du même auteur : Les désexués

 

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