Esclaves de New York, un film de James Ivory (1989)
Ce film fait pénétrer dans le milieu branché de Manhattan, un monde où le snobisme l'emporte sur l'art, la frime et l'extravagance sur la culture, la vulgarité sur la distinction, l'arrivisme forcené sur les sentiments.
La gentille Eleanor (Bernadette Peters) vit avec Stash (Adam Coleman Howard), un jeune peintre à la mode qui prend ses croûtes très au sérieux - alors qu'elles se vendent seulement très cher - et qu'il expose dans les galeries les plus avant-gardistes de la ville.
Eleanor aime Stash, mais ce dernier aime seulement le pouvoir que lui procure la griserie du succès, tout en se comportant en macho primaire avec sa compagne. Celle-ci, dans ce milieu où l'insolence est une arme bien meilleure que le talent, trimballe un gros complexe d'infériorité. Elle se trouve nulle et ne comprend pas que d'autres garçons lui tournent autour en admirant les petits chapeaux excentriques qu'elle s'amuse à confectionner et qui, à la fin du film, par une sorte de dérision dans le dérisoire et par une manière de justice, feront fureur.
Avec Stash toujours de mauvaise humeur et Eleanor toujours accommodante et affable, on rencontre Marley, autre jeune peintre qui n'a pas la chance de Stash et galère dur ; Sherman, encore un peintre, mais totalement effrayé par les codes de ce milieu et qui délègue sa petite amie pour lui trouver des lieux d'exposition ; et toute une faune qui hante les night-clubs, les vernissages et les défilés de mode.
On peut s'étonner que le projet d'adaptation du livre de Tama Janowitz (1) ait échoué dans les mains de James Ivory, quand on sait qu'à l'origine, c'est Andy Warhol qui s'en était emparé. Quoi de commun en effet entre l'ex-pape de la Factory et les climats feutrés, enrobés de bonnes manières, chers au cinéaste de Maurice ou de Chambre avec vue ! Certes, on peut considérer ici la perception de James Ivory comme résolument ironique, sarcastique : j'ai pourtant du mal à y voir une volonté de brosser un tableau critique sans complaisance d'un microcosme qui refléterait la sauvagerie universelle. Surtout que cette éventuelle intention métaphorique reste noyée dans l'anecdotique.
Dernier point : ce film est censé se passer dans le début des années 90 : je suis étonné de voir comment le réalisateur a traité la présence de l'homosexualité (une folle travestie perdue dans la foule d'une party) et surtout a ignoré complètement l'existence du sida dans ce milieu artistique pourtant déjà durement touché.
(1) Esclaves de New York, Editions Gallimard/Du Monde Entier, 1989, ISBN : 2070715051