Un amour d'arbre, Jean Chalon
C'est sous la forme d'un conte de fée que Jean Chalon renoue avec cette vieille tradition littéraire qui consiste à rendre hommage aux arbres, ces végétaux, objets de séduction. Ce conte de fées pour adultes privilégiés et avertis doit se lire comme un récit initiatique, avec ses élans d'humeur, ses extases et ses excès.
Pierre, fils unique, n'a qu'une passion depuis son enfance : les arbres. Cet amour congénital, entretenu par un père pépiniériste, s'exprime par un culte exclusif, de la racine jusqu'à l'écorce.
Habité par le « démon des arbres », on le surprend souvent en compagnie de celui qu'il considère comme son jumeau, un jeune arbre planté sur une colline par son père, le jour de sa naissance et avec qui il obtient son premier plaisir : « Cette mousse légère qui naquit de leur union scella définitivement son alliance avec le monde végétal. »
Garçon solitaire, rejeté par ses camarades, heureux de jouer avec les arbres, persuadé d'avoir la sève dans ses veines à la place du sang et fort de ce pouvoir tellurique qui l'aide à mieux vivre son anticonformisme, Pierre refuse l'amour des humains. Il n'accepte que l'amitié à condition que celle-ci soit fondée sur un même attachement, une même vénération pour les arbres. Ainsi, encouragé par Diane, sa marraine, amie elle aussi des arbres, il voulut découvrir les voluptés végétales du Sri Lanka. Et pour ses 18 ans, le voilà parti dans ce fabuleux pays, au sud de l'Inde, où les arbres semblent être les réincarnations de Bouddha, avec en poche l'adresse de la Société secrète des Arbres et du Secret, présidée par Alexandra. Pendant trois mois, Pierre vivra aux côtés de cette initiatrice aimant les arbres, les religions, les hommes et les femmes et qui épousa jadis un lord anglais, petit ami de son père avant de se marier une première fois.
Jean Chalon aime les situations les plus audacieuses. Et ce n'est pas fini, il campe une Judith qui se vante d'avoir été la maîtresse du grand Mao Tsé-toung, dépeint un jeune homme marié narcissique qui se préfère en se regardant nu dans un miroir et qui finira par coucher avec un sosie américain, recommandé par sa femme, qui elle-même se jettera dans les bras de sa plus intime amie.
Mais Pierre est au-dessus de tout cela. Il préfère se consacrer à son musée des arbres et écrire des poèmes à leur gloire. Car Pierre fait partie de cette race d'idéalistes et de romantiques qui trouvent leur plus grand plaisir dans une cause vouée à l'échec.
Pierre, l'amoureux des arbres, apparaît comme le dernier des sages en proie à la vacuité des sentiments. Il en mourra. Une mort volontaire et sublime qui achève cet éloge des arbres, où la fantaisie, l'ironie, l'aventure et aussi le tragique se mêlent sans lasser.
■ Éditions Plon, 1983, ISBN : 2259011063