Sauna, Jean Pavans
Avec « Sauna », l'auteur mêle son écriture et sa vie à ceux de trois écrivains aussi dissemblables que possible en apparence, à trois styles de vie et de morale.
Hector Berlioz franchira la porte du bain de vapeur comme on commet un vice irréversible, Anaïs Nin excitée de sa métamorphose sexuelle, curieuse et passionnée, Julien Green l'âme et la conscience torturée.
Jean Pavans restitue – à travers trois pastiches de confession amusants et réussis – l'étendue fantasmatique, sociale et affective du sauna. Labyrinthe des désirs, des croisements, du plaisir et de la transcendance de soi, mais aussi labyrinthe des obsessions des angoisses des échecs et des espoirs.
L'homme sait séparer le sexe du sentiment, il sait jouir de toutes les gammes du sexe et de toutes les gammes du sentiment. Il sait les combiner dans des fusions infiniment variées. L'œil déjà suffit à sa jouissance. L'œil est pour l'homme un organe sexuel. L'homme connaît l'orgasme de chacun de ses sens. Ses sentiments aussi ont des orgasmes.
« Je savourais les gestes autour de moi comme une chorégraphie savante et indéfiniment variée. Les homosexuels les plus vieux et les plus laids profitaient de la promiscuité pour toucher un beau garçon qui s'esquivait aussitôt. Ils attendaient qu'un groupe se forme pour aller prendre leur plaisir dans la masse indistincte des corps emboîtés dans des positions complexes. Lorsque deux homosexuels étaient d'accord pour s'isoler, ils se palpaient avec des gestes codés, et puis ils grimpaient sur les derniers gradins, disparaissaient dans le noir. D'autres au contraire trouvaient un accroissement à leur jouissance en la prenant sous des regards excités. Mais s'ils se plaisaient vraiment, et avaient envie de se connaître davantage que par leur corps, ils s'échappaient du hammam, allaient dans une cabine. Pour la plupart le hammam était indispensable à leur satisfaction. Moiteur et ténèbres d'un ventre. Chaleur maternelle, tendresse et sollicitude de la vapeur tiède. Matrice de la Mère du Monde. L'hémicycle était un théâtre intemporel où se mêlaient les mythes universels. » (Partie III – Anaïs Nin – Vos muscles de jeune tigre – p. 33)
« Pourquoi donc me voyait-on si souvent dans les couloirs et presque jamais ailleurs ? Il faut dire que je répugnais en effet à entrer dans le hammam, et cela pour une raison qui peut paraître étrange à beaucoup. La complète nudité de ceux qui se pressaient dans la demi-obscurité des vapeurs était pour moi absolument incompatible avec leur éventuelle séduction. Car là était le mystère : les parties génitales de l'homme me faisaient horreur, et bien préférable me paraissait le port des petites serviettes de diverses couleurs, qui opéraient la même sorte de censure que le musée du Vatican sur les trésors de la statuaire antique. Ainsi les dieux de chair comme de ceux de marbre ressemblaient davantage aux créatures asexuées dont je peuplais en secret mes cartons à dessins, et qui restaient pour moi l'image même de la tentation. Mais j'en reviens à ma nouvelle rencontre. Me voilà donc errant une fois de plus dans les fascinants couloirs, et je suis charmé par un sourire. Ce sourire m'est adressé par un grand garçon brun au regard doux et rêveur, un garçon drapé comme il convient. » (Partie IV – Julien Green – Le paradis du mal – pp. 77/78)
L'auteur, au delà des passages frénétiques où les corps délivrés se trouvent et vibrent de manière essentielle, pointe les marques de l'amour idéal et mesquin, obsédant et impossible.
■ Sauna, Jean Pavans, Éditions de La Différence, collection Minos, 2006, ISBN : 2729116257
Du même auteur : Ruptures d'innocence – Le théâtre des sentiments