Blonde platine, Adrian Tomine [Bande dessinée]
Adrian Tomine aime se pencher sur les marginaux, les gens qu'on ne regarde pas (ou mal), tous ceux qui ne correspondent guère au formatage idéal. La grande force de ce scénariste-dessinateur est de ne jamais prendre ses héros pour des saints. Ainsi l'histoire de cet écrivain qui reçoit une lettre d'une fille qu'il a aimée - sans retour - dans le passé, qu'il décide de retrouver... pour finalement sortir avec sa sœur cadette. Ou celle de ce graphiste frustré qui se montre très jaloux à l'égard de son voisin, bellâtre musicien qui conquiert les plus jolies filles.
Tous ces personnages, bien plus complexes qu'ils n'en ont l'air, sont formidablement décrits, avec un minimum d'indices et des traits assez simples, vraiment beaux.
On s'attardera tout particulièrement sur la quatrième et dernière histoire de Blonde platine, intitulée «Alerte à la bombe». Comme toujours chez Tomine, le récit repose sur une rencontre. Scotty, 16 ans, est un ado du genre timide, pas forcément brillant en classe, et qui passe son temps en compagnie de son pote Alex, coupe au bol et petites lunettes. Ce dernier, amateur de vidéos de fist, vit tout seul chez lui - ses parents ont déménagé -, et a l'habitude de se balader avec un flingue sur lui. La plupart des autres garçons du lycée, portés sur les beuveries et le base-ball, pensent que les deux garçons sont pédés (Adrian Tomine aurait-il lui-même subi la grivoiserie de ses camarades de classe ?)
«Les gens croient vraiment qu'on est gay ? Que…Simplement parce qu'on n'est pas d'odieux connards athlétiques comme Bryan ?» s'interroge Scotty. Mais «c'est parce que vous êtes toujours ensemble et qu'on vous voit jamais avec des filles... Vous avez l'air de... d'un couple !» répond, de son côté, Cammie. Elle, c'est un peu la salope du bahut, le genre de nanas pas farouches qu'on peut emmener dans les bois, et qui montre ses seins sans faire d'histoire dès qu'elle a un peu bu. Depuis un coma éthylique qui a eu des conséquences scatologiques, elle est devenue un paria, comme Alex.
En toile de fond, il y a la guerre en Irak (opus I), qui «ressemble à un jeu vidéo». L'histoire se clôt sur une alerte à la bombe (d'où le titre), et une proposition. sincère, de Cammie à l'attention de Scotty : «Tu veux me voir nue ?»
Adrian Tomine est un observateur hors pair qui construit très bien ses histoires et qui manie l'ellipse avec une incroyable virtuosité.
■ Blonde platine, Adrian Tomine, Seuil, 2003, ISBN : 2020593270
Lire l'article de Lionel Labosse sur son site altersexualite.com