Mémoires d'un guerrier du sida par Alain Emmanuel Dreuilhe
Les maladies, comme les guerres, se racontent mal ; les combattants ne peuvent pas communiquer ce qu'ils sentent, surtout dans les premiers temps, faute de recul, et les autres «font de la littérature». Je ne compose pas de Mémoires de guerre à la De Gaulle ou à la Churchill, car je ne suis qu'un fantassin, qui n'a pas de vue d'ensemble du conflit.
Je raconterai ma guerre aux jeunes pédés arrivés après la découverte du remède miracle, après la signature de l'armistice. Ils frissonneront un instant à mes souvenirs séniles, pour reprendre ensuite leurs activités ludiques et oublier très vite cette horrible période de notre histoire collective. Qui veut entendre encore parler de la guerre de Corée ?
D'ailleurs, une guerre racontée au jour le jour serait une mélopée interminable. Seuls les épisodes saillants et symboliques, les hauts faits - individuels ou collectifs - sont dignes d'intérêt. Le langage est trop rudimentaire ou trop oiseux pour rendre compte du lent déroulement des heures et des jours.
■ in Corps à corps : Journal de sida, Editions Gallimard/Au Vif du Sujet, 1987, ISBN : 2070711951, page 177