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Monique Lange et Juan Goytisolo : ou comment un homosexuel et une femme peuvent s'aimer

Publié le par Jean-Yves Alt

« Depuis longtemps, j'avais l'intention de t'écrire pour te parler de quelque chose qui me touche au vif, mais l'impression de m'engager dans une voie sans issue et un mélange de peur et de honte me faisaient toujours remettre ma décision au lendemain. (...)

« En réalité, j'ai toujours eu une attirance pour un certain type masculin que tu connais bien maintenant, et je ne pense pas que le fait que je sois tombé amoureux de toi et toi de moi ait été un pur hasard. Je trouvais en toi ce qui me manquait et que je ne trouvais pas chez les autres femmes : une « masculinité » et une indépendance qui rendaient notre vie commune possible. Mes expériences homosexuelles de jadis ont été négatives et, depuis que nous vivons ensemble jusqu'à il y a un an, je n'ai eu aucune relation avec un homme, je n'y ai pas pensé, sinon de manière fugitive. Ton amour m'avait donné une confiance en moi dont j'étais dépourvu et pendant longtemps j'ai cru que mon homosexualité appartenait au passé. (...)

« Cela fait à peu près un an que j'ai commencé à fréquenter des Arabes. Il m'a suffi de quelques semaines pour me rendre à l'évidence : je retrouvais mon équilibre et je me rapprochais de toi ; mais aussi je découvrais que j'étais totalement, définitivement, irrémédiablement homosexuel. Depuis cette date, tu auras observé que nos relations se sont améliorées ; bien que différemment, j'ai commencé à t'aimer plus qu'avant et j'ai atteint une espèce de bonheur que je n'avais jamais connu auparavant. Je me sentais serein, heureux de partager la vie avec toi, de vous avoir à côté de moi, Carole (il s'agit de la fille de Monique Lange) Comme tu l'imagines, je voulais te raconter ce qui s'était passé ; mais notre quiétude semblait si fragile que j'avais peur de la briser. (...)

« Les amitiés (équivoques) que j'ai nouées ne me suffisent pas, et même si je suis heureux avec vous, la chasteté vis-à-vis de mon sexe m'étouffe. (...)

« Aujourd'hui je suis dans une impasse. Je ne peux rien te proposer, rien te promettre. Je redoute ta réaction et secrètement je la désire. Je sais que je détruis mon bonheur d'être près de toi, qui est si fort. J'ai commencé cette lettre de nombreuses fois, le cœur serré. Je fais des prières pour que tu ne la prennes pas pour une rupture, bien que je ne puisse rien contre cette éventualité. J'ai peur de vivre sans toi : il y a ton visage, ta capacité d'amour, tes yeux, ta tendresse. Je n'ai jamais été aussi proche de quiconque. Je ne suis jamais allé aussi loin dans l'amour qu'avec toi. (...)

« Il ne me reste à ajouter que le souhait que tu trouves l'amour, le bonheur, l'amitié et l'estime que tu mérites et que je voudrais pouvoir te donner toujours. Je t'attends le 10 à Moscou avec tout mon amour, et j'attends aussi Carole. Je t'embrasse fort. »

Comment Monique Lange allait-elle réagir à cette révélation ? Juan Goytisolo nous l'apprend, quelques pages plus loin :

« La réponse attendue avec impatience arriva enfin. Un télégramme envoyé à l'hôtel Sovietskaïa, dont le texte disait brièvement : "Semaine inhumaine mais je t'aime." Trois ou quatre jours après, à l'aéroport où j'étais allé la chercher avec Augustin Manso et Irina, l'interprète, Monique me donna quelques pages rédigées par à-coups pendant sa cruelle quarantaine et terminées par un long post-scriptum écrit dans l'avion. Ses réflexions, ses questions, ses reproches, formulés dans une solitude angoissée, révélaient à la fois sa force et sa fragilité, sa noblesse, son amour, sa fraîcheur, sa générosité, ses doutes, sa souffrance.

« L'essentiel était dit : dorénavant, la réussite ou l'échec de notre relation - son adaptation à ce qu'elle venait d'apprendre - dépendait de notre volonté de rester ensemble. L'illusion de former un couple normal avait fait naufrage et il nous fallait relever le défi de créer quelque chose de nouveau. Mais l'amour, la compréhension, le respect mutuel que nous possédions suffiraient-ils à maintenir la force de liens que nous jugions primordiaux ? »

Juan Goytisolo

■ in Les royaumes déchirés, Editions Stock,1995, : 2234045150 (ou Editions Fayard, 1988, ISBN: 2213021015)

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T
quelqu'un aurait le numéro de page de cette citation par hasard?
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J
Je suis désolé, je n'ai plus le livre chez moi ; je ne peux retrouver la page.