F comme garcon, Isabelle Rossignol
Zoé, la narratrice est inséparable de Nina, sa cousine et meilleure amie. Au moment de son déménagement, à l'autre extrémité de la France, Zoé découvre que Nina est bien plus qu'une amie :
De l'aimer avec mon âme mais aussi avec mes mains. Nina, je voudrais la toucher tout le temps. Quand on est loin l'une de l'autre, elle est devant mes yeux comme une chandelle qui brille. Je n'arrête pas de lui parler dans ma tête. Je lui dis des trucs fous : « Tu es ma vie. Sans toi, je veux mourir. Avec toi, je peux faire des miracles. Si tu meurs, je te ressusciterai. » Je lui dis tout ça, le soir, avant de m'endormir.
Je me demande si elle se rend compte que je l'aime autant. Je ne sais pas si elle m'aime. Mais elle est si petite qu'elle est entrée en moi depuis ma naissance. Et je veux qu'elle n'en sorte jamais, jamais, jamais. (page 16)
Zoé est amoureuse de Nina, ce qui ne se déroule pas sans culpabilité :
[…] lorsque je passe ma main sur sa peau, je deviens folle. Serviette ou non, quelque chose s'agite à l'entrée de mon sexe et je ne peux pas résister: je dois calmer cette chose. Et pour la calmer, il faut que je me frotte contre Nina. [...] J'enlève mon tee-shirt en cinq secondes et je m'écrase sur elle. Tout en frottant mon sexe contre ses cuisses, j'embrasse ses lèvres, je mords son cou. J'aime Nina à m'évanouir. À crier. [...] Aujourd'hui, je pleure, parce que je sens comme jamais que je ne suis pas normale. Je sais que Nina est une fille. Je sais que je ne suis pas un garçon. Je le sais parce que j'ai du sang qui coule entre mes cuisses et parce que je n'ai pas le même sexe que mon père. Mais ailleurs, quelque part dans mon corps, je ne suis personne. Je ne suis qu'un monstre qui a besoin de Nina pour soulager une faim dans sa petite culotte. Je me fais penser à un ogre. Un ogre qui ne voudrait que de Nina. (pages 24/25)
Nina accepte sans rien dire cette relation. Zoé a pourtant envie de savoir ce que son amie ressent, alors qu'elles ont décidé de passer la nuit, toutes les deux, sous la tente, Zoé se lance :
Nina : - Qu'est-ce que t'as aujourd'hui ?
[...]
Zoé : - J'ai que c'est dégueulasse, ce qu'on fait.
[...]
Zoé : - Ce qu'on fait toutes les deux, c'est dégueulasse, tu sais pas ?
Quoi qu'elle fasse, elle a des yeux qui roucoulent. Elle est une vierge, une sainte et je suis une fille anormale qui la salit. Je me retiens de pleurer. Je mâche mon ongle du bout des dents.
Nina : - Qu'est-ce que tu peux faire comme histoires !
Peut-être que, à sa place, j'aurais le même ton blasé. Là, évidemment, je ne peux que m'énerver. En silence. Sans rien montrer. Je me contente de faire comme elle tout à l'heure: j'écarquille les yeux pour demander qu'elle s'explique.
Nina : - Il y a plein d'autres filles qui font comme nous, figure-toi !
Je ne sais pas ce qui m'étonne le plus : quelle puisse être aussi tranquille ; d'apprendre que d'autres le font ; ou qu'elle en ait connaissance. (pages 40/41)
Zoé n'a pas perçu jusque-là que pour Nina, dans leurs étreintes, il n'y a pas de sentiments réciproques :
Elle [Nina] me pousse violemment et s'éloigne. Après quelques pas, elle se ravise. Me regarde avec un air triste que je ne lui ai jamais vu.
Nina : - Je croyais qu'on s'amusait, toutes les deux.
Je [Zoé] pourrais répondre oui. Pour qu'elle n'ait plus peur de moi et qu'elle se laisse encore approcher. Sauf que je ne peux plus mentir.
Zoé : - Je suis homosexuelle, tu sais.
Jamais, depuis que mon père avait dit le mot, je n'avais osé le prononcer. Étrangement, Nina ne semble pas du tout étonnée ou choquée. Pendant un moment, je pense que c'est parce qu'elle ne connaît pas le sens de ce que je viens de lui dire. Mais c'était la Nina d'avant qui était naïve. Celle d'aujourd'hui sait tout, comprend tout. Celle d'aujourd'hui peut être agressive.
Nina - Ça, merci, j'avais compris ! Sauf que ce sera plus avec moi, c'est tout ! (page 51)
En écrivant des lettres à Nina (qu'elle ne lui enverra d'ailleurs pas), pendant toute l'année qui suit, Zoé va accepter de ne pas être aimée de Nina et apprendre à mieux se connaître :
Ma chère Nina,
Je suis HEUREUSE.
Oui, c'est à toi que j'ai envie de l'écrire en premier : JE SAIS QUE JE NE SUIS PAS ANORMALE. Je peux même l'écrire sur toute une page : je suis NORMALE. Je suis homosexuelle, mais je suis normale. En plus, maintenant, j'aime bien le mot HOMOSEXUELLE. Avec le «elle» de la fin, ça me fait penser à rebelle, belle, éternelle, universelle. J'adore !!! (page 68)
Cette transformation est liée à la nouvelle vie de sa mère qui vient de divorcer et qui invite maintenant régulièrement chez elle une collègue de travail. Un soir, cette dernière est venue, accompagnée d'une autre femme, Marilyne. Zoé a compris immédiatement qu'elles étaient plus que des copines, même si personne n'en avait parlé. Marilyne devient alors sa confidente : elle l'aidera, avec une grande franchise, à oser se lancer vers les autres tout en lui indiquant les situations trop périlleuses :
Zoé : - Et au collège, si on repère que je suis homo ?
Marilyne : - Ah ! Ça, c'est le vrai problème ! Il faut que tu sois extrêmement discrète, parce que, si tu es épinglée homo : un, tes parents seront mis au courant, et deux, tu auras tout le monde sur le dos. Je te conseille de draguer à l'extérieur. Et puis d'être un peu patiente. (page 127)
Pendant les grandes vacances, Zoé fait la rencontre d'Albertine : elle croit avoir enfin trouvé le grand amour. La réalité sera, une nouvelle fois, différente :
Zoé : - Des filles qui se mettent nues, qui s'embrassent et qui se caressent, comment tu les appelles, toi ?
Albertine - Des filles qui font leur éducation sexuelle.
Elle a répondu sans une seconde d'hésitation, le visage et les épaules bien relevés, bien droits. J'accuse le coup en disant :
- OK !
Puis, dans un sursaut de dignité, je finis par dire :
- J'espère que l'apprentissage a été bon. Que tu seras au point pour les mecs, je veux dire. (pages 110/111)
Il faudra à Zoé la rencontre d'un garçon dont elle croira être amoureuse pour prendre confiance en elle et vraiment connaître où ses désirs se nichent :
Je dis que tout va bien, que je suis seulement troublée, et il me serre un peu plus fort, heureux sans doute de ma sensibilité de fille. Moi, je sais que demain, bientôt, je lui parlerai. Quels mots je trouverai ? je l'ignore encore. Pour l'instant, si j'avais le courage de lui dire ce que je pense, je lui dirais :
«Grâce à toi, j'ai vraiment compris que ce sont les filles qui me plaisent.» (page 153)
Isabelle Rossignol a trouvé avec succès les mots qui pourraient être ceux d'une jeune fille en dernière année collège. Elle décrit avec justesse les sentiments qu'éprouve Zoé, ses crises de désespoir comme ses moments d'enthousiasme. Son héroïne arrive à faire la part des choses et apprend peu à peu à s’accepter. I. Rossignol a eu la sagesse de ne pas utiliser de personnages prescripteurs de solutions : celui de Marilyne ne fait que proposer des directions que le lecteur (ou la lectrice), placé (e) dans une situation analogue, pourra – à son tour – suivre ou non. Quand le roman se termine, la vie de Zoé est prête à s'ouvrir devant elle, sans occultation de ses désirs.
Les romans de littérature jeunesse où le narrateur-héros de l'histoire est homosexuel ne sont pas nombreux (1). Celui-ci traite – avec une grande délicatesse mais sans pruderie – de la découverte des désirs chez une jeune adolescente. F comme garçon ne devrait que mieux aider les lecteurs qui vivent de semblables situations et éclairer fort utilement les autres sur la complexité, la diversité des désirs et la difficulté de les exprimer.
■ F comme garcon, Isabelle Rossignol, Editions Ecole des Loisirs/Médium, janvier 2007, ISBN : 2211083552
(1) Dans la même veine, on pourra lire : Côte d'Azur de Cathy Bernheim, Editions Gallimard/Page Blanche, 1989, ISBN : 2070564436
Lire aussi la chronique de Lionel Labosse sur son site altersexualité.com