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Sexy, Joyce-Carol Oates

Publié le par Jean-Yves Alt

Darren Flynn est un adolescent, très séduisant tant aux yeux des filles que de ceux des hommes. Il fait brillamment partie de l'équipe de natation de son lycée. Darren n'est pourtant pas bien dans sa peau : il est loin d'être un garçon sûr de lui.

Un soir, après les cours, alors qu'il fait très mauvais temps, son professeur d'anglais, M. Tracy, le raccompagne chez lui. Dans la voiture, Darren éprouve de la gêne et craint d'être vu par ses copains. M. Tracy est-il attiré par Darren ? Il lui dit seulement qu'il est impressionné par sa sorte de dignité naturelle. Il ne se passe rien de plus mais à partir de ce moment Darren ne peut plus regarder son professeur comme avant.

M. Tracy, par la suite, propose à Darren de recommencer un devoir qu'il a négligé : ce qui ne favorise qu'un peu plus son embarras. Il se trouve aussi qu'un de ses copains du groupe des nageurs a obtenu une mauvaise note, avec M. Tracy, après avoir recopié un devoir sur internet : selon un accord avec l'entraîneur, il est exclu de l'équipe.

En se montant la tête les uns, les autres, tout est en place pour une vengeance : elle sera précédée par l'agression d'un garçon qu'ils pensent être pédé :

C'étaient les vacances de Noël. Ils étaient allés voir un film au CineMax du centre commercial nord. Ce garçon gay, qui, jura Kevin, les avait suivis par l'escalier roulant dans les toilettes pour hommes, devait avoir entre vingt-cinq et trente ans. […] Ouvrant le robinet de l'un des lavabos, Darren jeta un coup d'œil dans le miroir et vit que le garçon gay le regardait avec ce qui semblait être un petit sourire sournois, narquois, sa langue rose entre les lèvres, Darren sentit son cerveau s'enflammer, Kevin était penché en avant dans l'un des urinoirs, Roger remontait sa fermeture éclair, et sans que personne ne sache qui avait poussé l'autre le premier, la bagarre éclata, le garçon gay tomba aussitôt sur le carrelage sale, gémissant et implorant, Kevin lâcha un juron et lui donna un coup de pied, Roger lâcha un juron et lui donna un coup de pied, et Darren ne lâcha aucun juron mais saisit le garçon gay par ses cheveux huilés, prêt à lui fracasser la tête contre le mur en béton si l'un de ses amis ne l'en avait empêché… (chapitre 20, pages 65/66)

M. Tracy, un homme d'esprit pendant ses cours, qui, selon les copains de Darren a des manières efféminées, est accusé de pédophilie par eux grâce à une lettre anonyme envoyée au directeur de l'établissement, contenant une lettre et des photos pornographiques découpées dans un magazine.

La mauvaise farce se transforme inévitablement en rumeur où le recul et la sagesse n'ont pas leur place. Face à la pleuterie de ses collègues et de son directeur, à la seule enquête à charge des services de police, M. Tracy ne peut se défendre.

Le drame est proche : il se traduit par le suicide du professeur. Darren, qui n'a pas répondu à ses messages lui demandant de témoigner en faveur de sa bonne moralité, se vit comme responsable de sa mort. Il lui dédiera sa victoire lors des épreuves de natation.

Dans son corps, et hors de son corps à la fois, flottant au-dessus de lui au milieu des cris assourdissants, il entendait la voix d'un homme, Nage de toutes tes forces ! Nage de tout ton cœur ! la voix de son professeur d'anglais, et il sentait la main de Mr. Tracy sur ses épaules en mouvement, sa bénédiction : Que Dieu soit avec toi. (chapitre 61, page 195)

« Sexy » ne peut laisser indifférent. Joyce-Carol Oates sait aborder – de manière radicale – la haine qui perce, çà et là, chez chacun, face aux frustrations obsédantes. « Sexy » non seulement impressionne mais bouleverse et force la réflexion par la réalité qu'il décrit.

Dans la description de ce fait divers, Oates dévoile la haine de l'autre dans ses différences – réelles ou supposées – qui va faire naître le mensonge et qui aboutira au suicide. La perversité de cette haine prend toute son ampleur quand le lecteur prend conscience de l'absence de conséquences – Darren Flynn excepté – pour les protagonistes de cette affaire : la haine ne se retournant pas contre eux. Seul Darren accepte d'en porter les retombées.

La force étonnante et paradoxale de « Sexy », c'est – qu'en dehors du personnage de Darren – Oates écrit une sorte de rapport policier où les détours psychologiques sont absents.

En quelques pages, le lecteur découvre une tragédie emplie de fatalité. Au lecteur de se déprendre de cette dernière pour réagir, si pareille affaire venait à lui arriver.

■ Sexy, Joyce-Carol Oates, Editions Gallimard/Scripto, janvier 2007, ISBN : 2070574687


Du même auteur : Corps – Des gens chics – Haute enfanceSolstice


Lire aussi la chronique de Lionel Labosse sur son site altersexualité.com

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