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L'extrémité du monde, René de Ceccatty

Publié le par Jean-Yves Alt

François-Xavier, homme et saint au cœur d'un XVIe siècle initiatique. Une fable philosophique contée par René de Ceccatty.

« Un saint ne laisse pas de sa vie le souvenir d'événements que l'on puisse enchaîner avec objectivité. Tout est fable et merveille. » Ainsi se termine le livre que René de Ceccatty consacre à François-Xavier, devenu saint.

Né en 1506 en Espagne, François-Xavier rencontre Ignace de Loyola et fonde avec lui La Compagnie de Jésus. Il quitte l'Europe pour les Indes, le Japon, souhaitant atteindre la Chine. Il veut en évangéliser les peuples, jusqu'à cette « extrémité » du monde où vivent ceux qui ne connaissent pas le vrai Dieu, celui des chrétiens et des catholiques, bien sûr !

De ce qui aurait pu être une biographie plus ou moins scrupuleuse, René de Ceccatty a écrit un ouvrage exceptionnel, à la fois conte merveilleux et roman, dans l'apparence d'une exacte relation historique (appuyée sur les lettres de François-Xavier et sur des textes traduits du japonais), mais insidieusement « décalée » de manière à susciter chez le lecteur une permanente réflexion. La démarche de l'auteur – structure et écriture du texte – utilise les séductions du saint lui-même qui faisait cohabiter une méditation sereine sur sa propre action et l'exaltation irrationnelle d'un mysticisme candide ne reculant pas devant les miracles pour troubler et convertir un peuple assoiffé de merveilleux.

Etrange saint que François-Xavier, entouré de compagnons très chers, partageant leur couche (choisissant les plus jeunes) et relatant comme autant de douceurs divines la chaleur de leur peau, le vertige de l'amour, l'absolu de l'amitié : comme si Jésus avait donné l'exemple de cet amour pur (entre hommes), le seul péché étant la femme...

Perspicace François-Xavier qui découvre que les religions hindoues, japonaises ressemblent à ce désir de perfection terrestre qui le brûle et que sous d'autres noms ces « sauvages » adorent la même entité souveraine qui accrédite la nostalgie humaine et la souffrance dans l'espoir d'un futur qui réconcilie l'homme et l'intemporalité divine.

Candide François-Xavier qui s'étonne que ces moines préservés dans leur cérémonial, accompagnent les rites définitifs de leur culte d'une sexualité affichée entre hommes, la sodomie des moinillons par les plus âgés s'intégrant paisiblement aux prières qui occupent leur vie, le reste du temps...

Troublé François-Xavier et s'inquiétant parfois de ces élans qui le poussent vers les garçons, regardant avec trop de précision les marins qui, la nuit, au fond des cales, s'adonnent dans des rugissements de plaisir aux actes impudiques.

Troublant François-Xavier qui, aux escales lointaines, attend les marins pour les attirer derrière les fourrés, se mettre nu et se flageller afin d'émouvoir ces brutes qui succombent à Dieu, à la vue de cet homme consumé par un érotisme dont il ignore le pouvoir sournois.

Là est le remarquable travail de René de Ceccatty : avoir compris que la religion, dans ses excès, est jouissance, qu'elle est au-delà des interrogations métaphysiques, le seul moyen terrestre d'échapper aux monotonies de la bestialité ; qu'aimer l'impossible, se retenir aux limites vertigineuses du péché, est connaître la vibration suprême qui agrandit l'horreur de la mort et sublime les carcans de la vie.

Par le truchement d'un saint, René de Ceccatty pose les questions essentielles, redonne au corps son rôle de médiateur, réhabilite la part initiatique de la chair.

■ L'extrémité du monde : Relation de saint François-Xavier, sur ses voyages et sur sa vie, Editions Le Serpent à Plumes/Motifs, février 2007, ISBN : 2268061043


Du même auteur : Esther - Une fin - L'or et la poussière - La princesse qui aimait les chenilles - L'étoile rubis - Babel des mers - Violette Leduc, éloge de la bâtarde

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