Miniature hindouiste : Kali, la déesse noire
Sur le corps du dieu abandonné, la déesse noire se dresse courroucée. Le ciel est à la nuit et la terre s’ébranle du feu de sa fureur. Le long collier de têtes qui pend de son cou en trophée n’apaise pas son ardeur. Kali brandit l’épée de destruction. Mais la fleur du lotus, comme à la naissance du jour, s’épanouit.
Cette peinture représentant Shiva piétiné par son épouse Kali est imprégnée des récits légendaires de l’Inde, hymnes des Véda, écrits gnostiques des Upanishad ou chant poétique du Mahabharata.
Le processus de création est conçu comme un rite religieux dans lequel l’artiste au service d’une transcendance ne recherche jamais une expression personnelle. Il reste anonyme, comme dans cette miniature du XVIIIe siècle.
Kali représente la force de destruction. Elle manifeste, malgré l’apparence impassible de Shiva, la fureur du dieu. Elle est sa part féminine, sa shakti, qui dans l’hindouisme désigne sa puissance agissante.
Shiva gouverne la dissolution des êtres et du monde. Il est le Seigneur des larmes, le temps, Kala, qui anéantit toute chose. Pourtant le sens premier de son nom est « Bienfaisant » parce qu’il fait renaître la vie de la mort. Shiva est le destructeur d’illusions. Il symbolise la connaissance, celle qui s’éveille au cœur de l’homme et le libère des liens de l’ego.
L’image de Shiva-cadavre avec la déesse montée sur sa poitrine est un guide. L’homme doit mourir à lui-même pour que le divin prenne place « sur » son cœur.
« Quand l’égoïsme est détruit, quand l’homme devient semblable à un cadavre, la béatitude absolue peut apparaître dans le cœur », écrit Ramakrishna.
Le corps blanc, couvert de cendres et les cheveux relevés en chignon sont le signe des ascètes. Shiva est le modèle des maîtres yogis, celui qui transmet la connaissance. Kali, personnification de son énergie, porte une peau de tigre, attribut habituel du dieu qui symbolise la maîtrise de la nature, des instincts. Dans ses mains, l’épée et les ciseaux tranchent les liens de l’ignorance. La coupe est un crâne, le ciel du corps humain. Symbole de sacrifice, il contient une perle, signe d’illumination et de naissance spirituelle. Le lotus tourné vers la lumière désigne la même fécondité de l’ouverture du cœur. Le soleil qui nimbe la déesse et le serpent Kundalini dressé au-dessus de sa tête, symbole de l’énergie spirituelle, jusqu’à présent endormie est désormais éveillé.
« Kali n’a pas le teint foncé, raconte Ramakrishna, mais elle est si loin de nous qu’elle paraît foncée. »
« Je suis noire, mais je suis belle. », est-il dit dans le Cantique des cantiques (1, 5).
■ d’après un article du Monde des Religions n° 12, Paule Amblard, Juillet-Août 2005