Henri III, roi shakespearien de Pierre Chevallier
Il supprima les braguettes des hauts-de-chausse, pour oublier qu'il était un homme, il se faisait appeler Sa Majesté pour qu'on parle de lui au féminin...
Pourtant, l'image que Pierre Chevallier donne d'Henri III est bien différente de celle d'un prince débauché totalement absorbé par ses plaisirs. Ainsi l'auteur propose de parler à son sujet, plutôt que d'homosexualité, d'une tendance au transsexualisme pour rendre compte de son goût des toilettes extravagantes.
Viril, Henri III aurait été outrageusement viril : à tel point que son ardeur à l'ouvrage, selon les ambassadeurs vénitiens de sa cour, était la vraie cause de sa stérilité. « Il transmet la semence pendant le coït avec plus de rapidité qu'il ne faut pour pouvoir engendrer », assuraient-ils, et son médecin dut lui donner du lait d'ânesse pour modérer sa vigueur.
Mais alors, que dire des atours féminins dont on le vit plus d'une fois paré ? La robe de damas rose et argent, les bijoux, les parfums, le corset, les folies de Chenonceau ? Force est d'y reconnaître un « indéniable attrait » pour les charmes de la féminité. « La question se pose, suggère Pierre Chevallier, de savoir s'il n'y a pas eu chez le roi une tendance transsexuelle inconsciente. » Foin du mythe du roi homosexuel, « un inverti psychique pur », qui ne toucha jamais que sa femme et ses maîtresses, voilà ce qu'il était.
Et les mignons, archimignons ? Pierre Chevallier démontre que le choix des ducs d'Epernon et de Joyeuse pour favoris répondait essentiellement à des raisons politiques - seules les mauvaises langues soulignent qu'il s'agissait des jeunes gens les plus séduisants de la cour.
Quant aux innombrables témoignages contemporains, il ne s'agirait que de calomnies. Attaqué sur sa droite par la Ligue et sur sa gauche par les Huguenots, Henri III ne suscitait que pamphlets haineux et orduriers que l'historien repousse d'un pied dédaigneux.
Et si ces « régents et pédants de collèges imbus de grec » sont obsédés par la sodomie, n'est-ce pas qu'eux-mêmes sont « adeptes de l'amour socratique et donc enclins à prêter à leur adversaire leurs propres mœurs » ?
EXTRAIT : Ainsi, tout servait de prétexte pour discréditer Henri III. Si ses ennemis n’avaient voulu que défendre les bonnes mœurs, pourquoi ne trouve-t-on dans la collection de pasquils et de poésies licencieuses, si complaisamment recueillis par L’Estoile, rien de relatif aux mœurs de Monsieur dont pourtant l’orthodoxie paraît bien avoir été plus que douteuse ? Serait-ce parce que L’Estoile, qui avait quelque penchant pour la réforme, a préféré passer sous silence tout ce qui pourrait nuire au crédit d’un prince qui avait souvent uni sa fortune à celle des huguenots ?
En conclusion, que les mignons du roi aient été des hommes à femmes et ardents au déduit amoureux, il n’est pas inutile, avant de produire des textes inédits qui le prouvent, de recueillir sur eux l’opinion de Michelet : « Puisque ce mot de mignon est arrivé sous ma plume, je dois dire que je ne crois ni certain ni vraisemblable le sens que tous les partis, acharnés contre Henri III, s’accordèrent à lui donner. » Mais plus que l’autorité d’un citoyen aussi perspicace et honnête que Michelet malgré ses partis pris et ses préjugés, ce qui emporte la conviction sont d’authentiques documents.
C’est le cas de la correspondance de l’agent à Paris du cardinal Louis d’Este, protecteur des affaires de France à la Curie pour les années 1585-1586. Conservée aux archives vaticanes dans le fonds de la Nonciature de France (volume 285), elle contient de précieux détails. Le 17 août 1585, le comte Giglioli écrit ces lignes révélatrices : « Le roi a mené ces jours passés à Limours une vie qui a donné à dire à tous, étant resté en ce lieu, six jours continus, avec quatorze putains. Ils ont fait ce qui peut se faire et c’est une chose publique dans toute la Cour. » En marge, au folio 20, une main a écrit : « Vita lasciva regis » (Vie dissolue du roi). Ce texte se trouve confirmé plus discrètement par L’Estoile : « Le 4 août, le roi étant parti d’Etampes pour s’en venir à Paris passe à Limours, où le duc de Joyeuse, son beau-frère, le reçoit honorablement et traite humainement en compagnie de femmes et filles de toutes façons. » L’expression « de toutes façons » vaut bien les quattordeci puttane du texte italien. Mais, il y a mieux encore, et le 25 août, l’agent du cardinal récidive. Après son séjour à Limours, Henri III pensait s’arrêter quelques jours à Fontenay-en-Brie, maison de plaisance d’Epernon. Or, écrit Giglioli, « le voyage de Fontenay a été rompu, parce que d’Epernon a dit résolument au roi qu’il ne voulait pas, que chez lui, se fasse le bordel qui s’était fait chez Joyeuse ». [pages 438-439]
■ Henri III, roi shakespearien de Pierre Chevallier, Editions Fayard, 1985, ISBN : 221301583X
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