Jeremy Bentham (1748-1832) : Essai sur la pédérastie
Philosophe utilitariste anglais (1), Bentham réfute point par point dans son Essai sur la pédérastie les arguments "homophobes" de ses contemporains. Il montre en particulier comment Montesquieu et Voltaire n’ont pu respectivement condamner et nier la pédérastie qu’en contredisant leur méthode fondamentale : la raison.
Dans quel genre de crimes allons-nous classer ces spécificités de l’appétit sexuel que l’on qualifie de contre nature ? [...]. Je me suis torturé l’esprit durant des années pour trouver, si cela est possible, une raison suffisante à la sévérité avec laquelle elles sont traitées aujourd'hui par toutes les nations européennes ; mais, selon le principe d’utilité, je n’en ai trouvé aucune. [...]
1. Ses préjudices directs : il est évident qu’elle [l’homosexualité] ne produit de douleur chez personne. Au contraire, elle produit du plaisir, et, ainsi que nous le supposons, c’est un plaisir que ces personnes préfèrent, du fait de leur goût perverti, à celui qui est généralement réputé être le plus grand. Les partenaires sont tous deux consentants. [...]
2. Ses préjudices indirects : elle ne produit aucune appréhension pénible. Car qu’y a-t-il en cela pour qu’on en soit effrayé ? On suppose que seuls en sont l’objet ceux qui choisissent de l’être et qui y trouvent du plaisir ; car il semble qu’ils en éprouvent ainsi. [...] La raison que donne Montesquieu pour justifier sa réprobation, c’est la faiblesse que ce délit aurait tendance à provoquer chez ceux qui le pratiquent (De l'esprit des lois, livre XII, chap. 6 : «Il faudrait le proscrire quand il ne ferait que donner à un sexe les faiblesses de l’autre, et préparer à une vieillesse infâme par une jeunesse honteuse»). [...] Si l’affirmation peut être prouvée, ce n’est que par des arguments tirés a priori de considérations sur la nature du corps humain ou de l’expérience. Existe-t-il de tels arguments tirés de la physiologie ? Je n’en ai jamais entendu parler, et je n’en vois aucun. [...]
Ce qui est remarquable, c’est qu’il n'y a guère de personnage éminent dans l’Antiquité, ou quelqu’un qu’à d’autres égards on cite habituellement pour sa vertu, qui n’apparaisse à une occasion ou une autre infecté par ce penchant inconcevable. Celui-ci joue un rôle remarquable tout au début de l’Histoire de Thucydide : par un curieux hasard, c’est au courage de deux jeunes hommes enflammés, portés par cette passion, qu’Athènes doit, selon cet historien, d’avoir recouvré la liberté dans une circonstance éprouvante. La détermination et le courage du bataillon des Thébains - le bataillon des amants, comme on l’appelait - sont célèbres dans l’histoire et ce qu’on supposait communément être le principe qui cimentait l’union de ses membres est bien connu (Plutarque, Vie de Pélopidas). [...] Nous appelons platonique ce que les Anciens nommaient dans ce cas amour. Mais les Grecs connaissaient la différence entre l’amour et l’amitié aussi bien que nous - ils avaient même des termes différents pour les désigner : il semble donc raisonnable de supposer que lorsqu’ils disent amour, ils veulent dire amour, et que lorsqu’ils disent seulement amitié, ils veulent seulement dire amitié.
(1) L'utilitarisme vise à la maximisation du bonheur public : ce qui est bon pour soi et ne nuit pas aux autres est utile à la société.
■ Essai sur la pédérastie [1785], Jeremy Bentham, Éditions Gai Kitsch Camp, traduction de Jean-Claude Bouyard, 2003, ISBN : 2908050587
Lire aussi la chronique de Lionel Labosse sur son site altersexualité.com