Les homosexuels vus par le poète Federico Garcia Lorca
Dans son Ode à Walt Whitman, un torrentiel poème plein de colère, Garcia Lorca, tel Dieu le père, sépare le bon grain de l'ivraie pédérastique. Il décrète qu'il y a d'un côté les bons pédés, le pur Walt Whitman et ses virils amis : bûcherons, conducteurs de tramway, journaliers...
et de l'autre côté les tantes des villes à la chair tuméfiée et aux pensées immondes, mères de la fange, harpies, ennemies sans sommeil de l'Amour qui partage des couronnes de joie [...] esclaves de la femme, chiennes de ses boudoirs...
Cette charge au bulldozer contre les pauvres tantes donne-t-elle à croire que c'est contre la tante qui était en lui qu'il en avait ?
Ode à Walt Whitman
C'est pourquoi je n'élève pas la voix, vieux Walt Whitman,
contre l'enfant qui écrit
un nom de fillette sur son oreiller,
ni contre le garçon qui met une robe de mariée
dans l'obscurité de l'armoire ;
ni contre les solitaires des clubs
qui boivent avec dégoût l'eau de la prostitution,
ni contre les hommes au regard vert
qui aiment l'homme et brûlent leurs lèvres en silence.
Mais bien contre vous, « tantes » des villes
à la chair tuméfiée et aux pensées immondes,
mères de la fange, harpies, ennemies sans sommeil
de l'Amour qui partage des couronnes de joie.
Contre vous toujours, qui donnez aux garçons
des gouttes de mort sale avec l'amer poison.
Contre vous toujours,
Faeries d'Amérique
Pajaros de La Havane,
Jotos de Mexico,
Sarasas de Cadix,
Apios de Séville,
Cancos de Madrid,
Floras d'Alicante,
Adelaidas du Portugal.
« Tantes » du monde entier, assassins de colombes !
Esclaves de la femme, chiennes de ses boudoirs,
ouvertes sur les places avec la fièvre de l'éventail
ou embusquées dans d'inertes paysages de ciguè.
Pas de quartier ! La mort
dégoutte de vos yeux
et groupe des fleurs grises sur les bords de la fange.
Pas de quartier ! Alerte !
Que les confondus, les purs,
les classiques, les insignes, les suppliants
vous ferment les portes de la bacchanale.
Et toi, beau Walt Whitman, dors au bord de l'Hudson,
la barbe vers le pôle, avec tes mains ouvertes.
Argile douce ou neige, ta langue appelle
des camarades pour veiller ta gazelle sans corps.
Dors, il ne reste rien.
Une danse de murs agite les prairies
et l'Amérique se noie de machines et de larmes.
Je veux que le grand vent des nuits lesplus profondes
arrache fleurs et lettres à l'arc où tu reposes
et qu'un enfant noir annonce aux blanc de l'or
l'avènement du règne de l'épi.
Federico Garcia Lorca
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