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Contre la normalisation : entretien avec Marcela Iacub

Publié le par Jean-Yves Alt

■ Qu'est-ce qu'un «antimanuel» d'éducation sexuelle ?

Ce n'est surtout pas un livre de sexologie. C'est un exposé de la manière dont le droit français a fait la révolution des mœurs depuis trente ans, aussi bien du point de vue pénal que civil. On a mis un accent particulier sur la criminalité sexuelle montrant ses dérives pour des raisons que nous essayons d'expliciter : la psychologisation de l'interprétation des normes, les problèmes de procédure en ce qui concerne les preuves ainsi que la longueur et le type de peines que l'on réserve à ces infractions. Mais nous montrons aussi tout l'aspect civil de la révolution des mœurs : les nouvelles règles concernant le couple, la filiation, la liberté procréative. 

■ Que reprochez-vous à l'action du droit et de la justice ?

A part la question pénale que je viens d'évoquer, il y a aussi un problème entre les principes politiques affichés par la révolution des mœurs et ses concrétisations. Considérons la situation qui est réservée à la prostitution. On a largement admis que l'acte sexuel était licite à partir du moment où il est consenti entre adultes. Le fait de persécuter la prostitution est contraire à ce principe. On n'a pas à savoir pourquoi les gens sont consentants: il n'est pas obligatoire d'être amoureux ou de vouloir se reproduire pour consentir à un rapport sexueL On ne cherche pas à savoir si une femme mariée couche avec son mari parce qu'elle en a envie, parce qu'il lui fait des cadeaux, ou parce que sinon il se fâche. Pourquoi le ferait-on dans le cadre de la prostitution ? D'autres paradoxes sont à soulever dans le domaine familial et reproductif. On a insisté sur le fait que la procréation et la filiation devaient être volontaires et on se retrouve avec des pères forcés à le devenir du fait d'avoir eu des rapports sexuels avec une femme. On soulève bien d'autres paradoxes dans le livre.

■ Que voyez-vous derrière cette intrusion du regard de l'Etat dans la sexualité ?

Ce qui me gêne, à ce propos, c'est la manière dont l'Etat s'occupe de signifier ce que doit être la valeur de la sexualité pour tout un chacun. Ce faisant, il impose un modèle de normalité sexuelle. On veut toujours donner une signification unique à la sexualité : quelque chose d'intime, qui sert - à tisser des liens affectifs ou sociaux avec les autres. La prostitution, le sexe furtif, cela gêne parce que cela ne crée pas de lien. Il y a toujours l'idée qu'il faut racheter le sexe par l'amour ou la reproduction. La normalisation consiste à faire comprendre aux gens que la sexualité engage leur subjectivité. On pourrait dire que le sexe est devenu le lieu de l'âme : «Le sexe, c'est moi.» En tant qu'opinion, cette idée est respectable. Mais l'Etat n'a pas à imposer une conception particulière du sexe à tout le monde. Il doit avoir une attitude neutre. La définition de la valeur qu'a pour chacun la sexualité doit être élaborée par la morale et non par le droit. Une société «postsexuelle» serait celle dans laquelle l'Etat ne s'occuperait plus de dire ce que doit signifier notre sexualité, mais se limiterait à nous protéger contre les violences.

■ Il peut exister une demande de règles nouvelles. Que faites-vous de la recherche de l'égalité entre les sexes ?

Les discours féministes critiques de la demande sexuelle masculine, de la prostitution, de la pornographie ou de l'échangisme font de la sexualité le lieu des rapports de pouvoir entre les sexes. Pour moi c'est une erreur. A l'heure actuelle, on ne peut pas soutenir que l'inégalité entre les sexes passe par la sexualité. C'est dans la sphère familiale qu'elle se crée. C'est le rôle que la femme a pris en matière de reproduction qui est à l'origine des inégalités économiques, politiques et professionnelles entre les sexes.

Sciences Humaines n°163, propos de Marcela Iacub recueillis par Nicolas Journet, août-septembre 2005 

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