Embarquement pour Cythère avec Balthus
Dans les années trente, alors que la peinture abstraite triomphe, le comte Balthasar Klossowski de Rola, dit Balthus [1908-2001], se définit au contraire comme un artiste peintre figuratif.
Mais la figuration qu'il prône est aussi loin du plat réalisme que du surréalisme.
Balthus se tourne vers une peinture d'une étrangeté certaine, due notamment à la fixité un peu morbide des jeunes filles qui la peuplent.
Certains historiens de l'art ont cherché des pères à ce peintre. Mais qui invoquer ? Derain, Picasso ? Certes, ils avaient été tentés par le retour au réalisme dans les années vingt, mais un réalisme plutôt néo-classique. On n'a pas hésité alors à citer Piero della Francesca, Masaccio, Giotto ! Si les sols carrelés de Balthus évoquent les damiers de La flagellation du Christ de Piero, si ses teintes mates et ocrées rappellent celles des fresques du Trecento ou du Quattrocento, jamais il n'atteint à la monumentalité des grands maîtres italiens.
Il reste une belle matière travaillée en pâte épaisse ou en glacis presque transparents et acides, des mises en scènes un peu inquiétantes, des jeunes filles tranquillement perverses et surtout cette fillette à genoux du Peintre et son modèle, au doux visage encadré de tresses blondes, qui, elle, évoque réellement les jeunes filles renaissantes.
Balthus, Le peintre et son modèle, 1980-1981
Huile sur toile, 230 cm x 227 cm, Centre Georges Pompidou, Paris
Le peintre tourne le dos à la jeune fille et tire un rideau. Mais fait-il de la lumière dans son atelier pour la peindre ou, au contraire, ferme-t-il les rideaux pour se consacrer à elle de façon plus intime et célébrer un mystère plus secret ?
Comme dans le tableau de Watteau, on ne sait s'ils vont s'embarquer pour Cythère, l'île des Amours, ou s'ils en reviennent...
Voir aussi : Balthus, un peintre fresquiste ? et Balthus ou quand la nature se laisse aller…