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Le trompe l'œil ou l'art de l'illusion

Publié le par Jean-Yves Alt

Il faut quelques minutes avant de s'y habituer. D'abord on y croit, signe que le peintre a savamment composé son œuvre. Des objets traînent sur une étagère. Ils paraissent anciens, on voudrait les saisir, comme sur l'étal d'un brocanteur. Mais avant qu'on ait avancé la main, l'œil a fait le point, dévoilant l'illusion.

Le trompe-l'œil n'est pas un genre neuf. L'anecdote rapporte qu'il naquit en Grèce. Dans son Histoire naturelle, l'écrivain romain Pline l'Ancien relate une joute artistique entre deux grands artistes grecs rivaux, Zeuris et Parrhasios, au Ve siècle avant J.-C. Le premier avait peint des raisins avec un tel réalisme que les oiseaux cherchaient à les picorer. Piqué au vif, le second exécuta alors un rideau paraissant recouvrir un tableau. Berné, Zeuxis voulut le tirer pour voir l’œuvre faussement dissimulée. En vain.

Ni décoration ni nature morte, même s'il y est apparenté, le trompe-l'œil devait satisfaire à des critères très précis, afin de garder toute sa portée illusionniste. Les objets (papiers, crânes...) qui le composaient étaient représentés grandeur nature, et les figures vivantes (humains, animaux) en étaient exclues, pour que leur immobilisme ne dévoile pas trop vite la ruse. Enfin, l'œuvre devait reprendre l'environnement dans lequel elle allait s'intégrer (mur de pierre, cloison en bois...) et aucun élément ne devait être coupé par le bord du cadre.

Ce ne fut pas un genre majeur, mais beaucoup de peintres célèbres, comme Rembrandt, Velasquez ou Chardin, s'y adonnèrent à un moment de leur vie.

Très prisé par l'Europe du Nord, le trompe-l'œil répondait en fait à un débat philosophique et artistique autour de la représentation de la réalité. L'apparition de la photographie y a mis un terme, en poussant les peintres à privilégier alors leurs émotions.

Beaucoup de ces œuvres sont des vanités, un genre pictural qui privilégie les crânes, épitaphes alambiquées, vieux papiers froissés ou gravures déchirées. Des objets qui évoquent la destinée mortelle de l'homme lui-même, mais sans sa présence, ce qui suggère qu'il a disparu. Le gibier mort suspendu par les pattes, dérisoire trophée de chasse, fut aussi l'un des thèmes de prédilection des spécialistes de cette technique. La plupart de ces artistes répondaient à des commandes et leur nom n'est jamais vraiment passé à la postérité.

Le trompe-l'œil a connu ses derniers éclats sous la Révolution et le premier Empire. Avec une claire fonction politique. L'art du décor peint fut ainsi largement utilisé dans les grands rassemblements révolutionnaires. Tandis que les déçus du « grand soir » manifestaient leur amertume par d'ironiques tas d'assignats (le papier monnaie révolutionnaire, dont la valeur, indexée sur les biens nationaux, s'écroula du jour au lendemain) peints avec le plus grand réalisme. Parfois, l'artiste y glissait, au péril de sa vie, un petit dessin représentant la silhouette du roi Louis XVI. Napoléon Bonaparte reçut un traitement à peu près semblable. Ainsi, une toile, réalisée en 1801, fait figurer, sous du verre brisé, le «Traité de paix définitif entre la France et l'Espagne», trahi après sa signature par l'empereur. Ce qui en dit long sur la considération que le peintre Laurent Dabos (ci-contre) avait pour ce régime.

Le trompe-l'œil tomba ensuite dans l'oubli. Il fut même méprisé tout au long du XIXe siècle, avant d'être exhumé par les surréalistes. Dali et Magritte s'en sont inspirés à leur manière. Aujourd'hui, le cinéma a repris cette tradition pour certains de ses décors.

"Tableau en déplacement", Pierre Ducordeau, 1974

L’artiste joue ici avec l'idée d'absence de sujet

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