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Le triomphe de Ganymède

Publié le par Jean-Yves Alt

Divers topoi spécifiquement homosexuels virent le jour durant la période 1050-1150. Le plus important d'entre eux est incontestablement celui de Ganymède, fils d'un roi troyen, remarquable par sa beauté, que Zeus/Jupiter enleva pour lui servir d'échanson dans son palais céleste.

Rapidement, l'usage du mot "Ganymède" se répand comme une traînée de poudre et devient synonyme de l'amour gai en général. Boswell écrit du reste à cet égard :

« Dans la littérature impériale tardive, "Ganymède" est devenu un terme générique désignant celui qu'on nommait l'aimé dans une relation homosexuelle, mais il devient durant le haut Moyen Age une figure plus souple, représentant coutumier des gais en général. Dans plusieurs débats datant de cette période il fait fonction de porte-parole du camp des gais et son nom est souvent employé comme s'il avait été l'archétype de la beauté masculine. »

John Boswell, Christianisme, tolérance sociale et homosexualité, Gallimard, Collection : Bibliothèque des histoires, 1985, ISBN : 2070700402, p.317-318

Les références à Ganymède doivent donc être regardées comme des allusions possibles à l'homosexualité. Et il serait erroné de penser que l'usage du terme "Ganymède" ne se restreint qu'à la littérature. On trouve aussi son utilisation dans la sculpture.

L'exemple du chapiteau de la basilique de la Madeleine à Vézelay, qui dépeint l'enlèvement de Ganymède par un aigle, est assez particulier.

Il diffère en tout point des habituelles peintures de l'enlèvement de Ganymède : de Michel-Ange, en passant par Titien, Corrège ou Rubens. Ces peintures sont en effet légions. Ces représentations ont en commun d'évoquer une fascination mutuelle plutôt qu'un rapt. Ganymède entourant le cou de l'aigle avec confiance n'est nullement effrayé, mais se laisse plutôt enlever avec allégresse et parfaite innocence. Ainsi dans les représentations grecques, Zeus entoure de ses bras le garçon dans une attitude protectrice ; chez les Romains, les ailes de l'aigle servent de support à Ganymède et ce dernier semble enlevé du sol avec une douceur infinie, sur un chariot ailé.

Rien de semblable dans la sculpture de Vézelay (ci-dessus) : les ailes de l'oiseau rapace sont dressées sévèrement à la verticale et son attitude est cruelle, comme s'il se tenait prêt à l'attaque, ses énormes serres sont agrippées au corps du jeune chien aboyeur (l'attribut de Ganymède) et le bec de l'oiseau, tel celui d'un faucon menace d'une pointe acérée l'enfant épouvanté. Tout concourt à faire de cette scène une image de terreur enfantine. A gauche de la scène, les parents éperdus d'inquiétude tentent vainement et avec force lamentations, de secourir le garçon. L'effroi de l'enfant est signifié à travers les détails suivants : il garde les mains désespérément jointes, les yeux roulent dans leurs orbites, les cheveux sont dressés et la bouche tente d'articuler un cri terrifiant. Cet enfant arraché au sol par un rapace cruel et agressif, sous l'emprise du démon, donne une empreinte tragique à la sculpture.

Mais pourquoi cet enlèvement de Ganymède diffère-t-il tant des représentations antérieures de la même scène et comment l'expliquer ?

Ilene H. Forsyth (Université du Michigan) a proposé une réponse : la représentation d'un Ganymède épouvanté dans les griffes de l'aigle ravisseur pourrait suggérer une attitude négative du sculpteur face à quelques aspects de l'homosexualité contemporaine. Il pourrait s'agir d'une dénonciation des violences sexuelles que les tout jeunes oblats subissaient sans doute dans les monastères. Forsyth rappelle en effet l'angoisse profonde de l'Eglise au XIe et XIIe siècles concernant la pédérastie.

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