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Akhenaton, le pharaon mystérieux par Christian Régis

Publié le par Jean-Yves Alt

Aucun personnage de l'histoire égyptienne n'est plus extraordinaire que le pharaon Akhenaton, autre nom de celui qui s'appela d'abord Aménophis IV. Ce pharaon, pour des raisons inconnues, décida de rompre avec toute la tradition et l'histoire de son pays en créant le culte d'un nouveau dieu, Aton, dont il se proclama le fils et le « favori » (Akhen-Aton), et qui remplaça tous les autres dieux jusqu'alors vénérés.

Cela se passait au xiv' siècle avant J.-C. – voici trois mille quatre cents ans. Et pourtant le physique d'Akhenaton nous est bien connu, grâce à ses statues et bas-reliefs conservés dans les ruines de la ville qu'il avait créée, Akhetaton, aujourd'hui El-Amarna, dans la moyenne vallée du Nil.

Or voici qu'un livre récent nous apprend des choses étonnantes sur ce pharaon mystique, des choses qu'il vaut la peine de signaler aux lecteurs d'Arcadie (1).

On peut pardonner aux premiers voyageurs qui visitèrent El-Amarna et ses tombes creusées dans le roc, d'avoir cru que les représentations d'Akhenaton étaient celles d'une femme et que deux reines étaient sculptées en même temps sur les bas-reliefs.

En effet, Akhenaton est montré avec le même cou de cygne élégant, les mêmes larges hanches, les mêmes cuisses grasses et la même poitrine rebondie que sa femme Néfertiti. Comme il porte une robe longue semblable à celle d'une femme, les images de ce pharaon ont souvent été prises pour celles d'une reine, surtout lorsque sa coiffure caractéristique avait disparu ou qu'il portait la même courte perruque que ses épouses arboraient fréquemment. L'apparence physique féminine d'Akhenaton est bien évidente dans les torses demeurant des statues cassées que le jeune Howard Carter avait trouvées dans le grand temple d'El-Amarna. Il est tout à fait impossible, si l'on se fonde uniquement sur des considérations anatomiques, de savoir si l'on est en présence du torse d'Akhenaton ou de Néfertiti.

Entre les deux guerres, les fouilles conduites à Thèbes permirent de découvrir des parties de l'énorme temple dédié à Aton, qu'Akhenaton avait fait édifier au début de son règne. Dans ces ruines apparurent plusieurs remarquables statues colossales du pharaon. Elles n'ont pas leur équivalent dans l'art égyptien pour ce qui concerne leur grotesque déformation de la forme humaine. La plupart des égyptologues les ont regardées d'un air interrogatif, et ont été incapables de leur donner une réelle signification ; ils les ont simplement traitées de « franchement hideuses ». Cependant John Pendlebury les décrivit tout à fait justement comme constituant « une merveilleuse étude pathologique », et il est à regretter qu'il n'ait pas eu le temps de publier son opinion.

Le plus remarquable de ces colosses montre le pharaon entièrement nu, sans aucun signe de parties génitales : déficience qui ne peut pas être due à la pudibonderie, bien que les anciens Egyptiens aient montré quelque réticence à représenter leurs pharaons sans vêtements. Certains exemples nous sont parvenus dans lesquels un pharaon est portraituré entièrement nu, avec son sexe nettement indiqué. Il était par essence un « roi de la fertilité », dont la puissance séminale était implicite dans l'un de ses titres : « le Taureau puissant ». Un pharaon sans phallus représente donc une contradiction.

Plusieurs tentatives ont été faites pour expliquer pourquoi le colosse d'Akhenaton était ainsi asexué. Une de ces théories est qu'Akhenaton désirait transmettre, par le moyen de cette statue, un concept théologique, souvent exprimé dans les inscriptions d'El-Amarna, à savoir que le pharaon, fils d'Aton, est une image de son père, Aton lui-même, Dieu suprême, ne pouvant être représenté sinon par le symbole du disque solaire rayonnant. Les statues royales devaient donc remplacer l'image divine. Etant donné qu'Aton est souvent appelé « le Père et la Mère de l'humanité », la statue colossale de Thèbes aurait ainsi exprimé la bisexualité attribuée au Créateur...

Cependant, un autre pharaon, Touthmôsis III, est aussi appelé par les inscriptions « le Père et la Mère de l'humanité », et malgré cela il n'est jamais représenté autrement que comme un pharaon conquérant et viril. Il est douteux que le concept de la bisexualité d'Aton puisse signifier autre chose que le fait qu'il s'était lui-même créé, particularité qui fut longtemps attribuée au Soleil-Dieu, lequel s'était engendré lui-même pour créer l'univers. Il est de plus en plus évident qu'Akhenaton, en choisissant de se faire statufier sous une telle forme efféminée et bizarre, avait volontairement décidé de faire accentuer par l'artiste certains aspects particuliers de son anatomie personnelle, et que cette décision avait une signification.

En effet, la statue colossale du temple de Thèbes (aujourd'hui conservée au Musée du Caire) ne représente pas simplement un homme efféminé, moins encore un hermaphrodite. Elle fait apparaître des déformations qui n'apparaissent pas normalement chez un homme ou chez une femme. C'est pourquoi plusieurs pathologistes qui l'ont examinée séparément y ont vu le symptôme d'un désordre du système endocrinal, et plus spécialement d'un mauvais fonctionnement de la glande pituitaire. Toutes ces caractéristiques physiques particulières seraient le résultat d'une maladie que les médecins nomment le « syndrome de Fröhlich ».

Les hommes atteints de cette maladie montrent fréquemment une corpulence analogue à celle d'Akhenaton. Les parties génitales demeurent non développées et peuvent être si enrobées de graisse qu'elles ne sont pas visibles. L'adiposité peut être répartie selon les cas, mais elle est souvent « typiquement féminine », surtout dans les régions de la poitrine, de l'abdomen, du pubis, des cuisses et des fesses. Les membres inférieurs demeurent maigres, et les jambes ressemblent à des « culottes de golf ».

Le syndrome de Fröhlich peut se développer à partir de plusieurs causes, parmi lesquelles la plus commune est une tumeur de la glande pituitaire, laquelle contrôle les caractéristiques des gonades. Les lésions se produisant dans la zone pituitaire affectent souvent la région hypothalamique du cerveau, et inversement, ce qui agit sur l'adiposité du malade. Au début de cette maladie, il peut y avoir une fugitive suractivité de la glande pituitaire provoquant des déformations de la tête, telle qu'une croissance excessive de la mâchoire, mais cette suractivité est toujours suivie d'une sous-activité de la glande et d'hypogonadisme.

L'apparence maladive avec laquelle Akhenaton choisit de se faire représenter était partagée, quoique à un degré moindre, par toute sa famille et son entourage. Malheureusement, aucun portrait d'Akhenaton avec le crâne nu n'a été découvert ; il est toujours représenté avec une perruque ou une couronne. Mais il est permis de croire que la forme de son crâne devait être, comme le reste de sa curieuse anatomie, considérée comme un idéal que les artistes devaient suivre. Il est probable qu'il avait un crâne particulièrement platycéphale, comme ceux de ses jeunes frères Toutankhamon et Smenkh-Ka-Rê, trait qu'ils avaient certainement hérité de leur ancêtre commun Youya.

Un bas-relief du Musée du Louvre, qui, d'après son style, date du début du règne d'Akhenaton, représente ce dernier avec une mâchoire lourde, une panse et des fesses rebondies. Ces caractéristiques dénotent clairement, bien qu'elles soient encore modérées, qu'Akhenaton souffrait déjà de la maladie dont les signes devaient par la suite être dépeints de manière exagérée.

Cependant, il y a un obstacle sérieux au diagnostic de la maladie de Fröhlich, obstacle qui oblige les médecins à se montrer réservés dans leur opinion : c'est qu'Akhenaton est le seul pharaon à s'être fait représenter avec toute sa famille. Il apparaît rarement seul ; presque toujours il est en compagnie de son épouse et de quelques-unes de ses six filles. Comment un homme souffrant de la maladie de Fröhlich attrait-il pu engendrer tous ces enfants ?

Il est apparu à certains historiens qu'une telle ostentation de sa vie familiale sonnait quelque peu faux, et ils se sont posé des questions quant à la paternité des enfants d'Akhenaton. En effet, malgré l'extraordinaire affection dont il fait preuve, dans ses inscriptions, pour les enfants de Néfertiti, il n'est jamais dit explicitement qu'il était leur père. Ces filles portent simplement le titre de « Filles du Pharaon », mais on n'a aucune preuve que ce pharaon soit Akhenaton lui-même. Une seule inscription dit qu'il est le père d'une de ces filles, mais c'est dans un texte qui à l'origine concernait Néfertiti et qui a été par la suite modifié de manière à concerner Merytaton ; la filiation qui en résulte est donc bien suspecte et on ne peut guère en tenir compte. Il existe la même incertitude en ce qui concerne l'allégation faisant d'Akhenaton le père de l'enfant d'une autre reine, Ankhes-En-Pa-Aton.

Le fait que les enfants de Néfertiti soient décrits comme étant les « enfants du Pharaon » signifie seulement qu'ils étaient les enfants d'un Pharaon, sans spécifier lequel. On a de bonnes raisons de penser qu'il s'agit en réalité d'Aménophis III, le propre père d'Akhenaton, dont il fut l'associé sur le trône pendant quatre ans. En effet, rompant avec la coutume qui voulait que les héritiers du trône épousent leur sœur, Aménophis III, au lieu de donner sa fille Sit-Amon en mariage à son fils héritier, le futur Akhenaton, l'épousa lui-même, comme s'il savait que le jeune prince était incapable de lui assurer une descendance.

En outre, si Akhenaton avait été le père des six filles de Néfertiti, et qu'il avait par ailleurs entretenu l'habituel harem d'un pharaon, il est surprenant qu'il n'ait pas eu au moins un fils qui aurait pu lui succéder. Or, loin d'attendre un héritier, il s'associa comme corégent son frère cadet Smenkh-Ka-Rê, à un âge où normalement il aurait dû plutôt espérer la naissance d'un fils.

Il est vrai que la liste des pharaons, telle que nous l'a transmise le prêtre Manéthon, est terriblement confuse pour cette période. Après Aménophis (« réputé être Memnon », c'est-à-dire le Dieu suprême), Manéthon fait régner le dieu Horus, puis « sa fille Acenchérès », qui régna douze ans et un mois. Aucune inscription, aucun bas-relief, aucune statue n'a révélé l'existence de cette soi-disant reine Acenchérès. Peut-être s'agit-il tout simplement d'Akhenaton lui-même, pris pour une femme ?

Rien n'est simple en ce qui concerne ce mystérieux personnage. En 1931, on découvrit à El-Amarna une esquisse qui le représentait avec une barbe de plusieurs jours. Ceci semblerait donc confirmer qu'il avait les caractéristiques sexuelles secondaires qui lui ont été déniées...

De plus, une stèle non terminée en provenance d'El-Amarna, et qui a fait l'objet de nombreuses discussions, monte deux pharaons côte à côte, l'un étant Akhenaton et l'autre son frère et corégent Smenkh-Ka-Rê. Les relations d'homosexualité entre les deux frères révélées par cette stèle ont été comparées à celles de l'empereur Hadrien et d'Antinoüs, donnant une signification particulière à l'expression « Aimé d'Akhenaton » que Smenkh-Ka-Rê s'attribue dans l'inscription. On peut même penser qu'Akhenaton, l'aîné, jouait le rôle actif dans ces relations tant à cause du geste qui le montre caressant son cadet sous le menton, qu'en raison du fait qu'après la mort de Néfertiti, Smenkh-Ka-Rê assuma également son nom.

Ainsi, malgré le nombre de ses portraits et des inscriptions dont il est l'auteur, le pharaon Akhenaton reste à jamais une figure mystérieuse à nos yeux. Fut-il un eunuque, victime d'une maladie endocrinienne ? ou fit-il, pour des raisons peut-être religieuses, exagérer volontairement sur ses statues des caractères féminins peut-être communs dans sa famille ? fut-il le père des filles de sa femme Néfertiti, dont le regard aigu n'a cessé de hanter l'imagination de tous ceux qui ont vu son inoubliable buste du Musée de Berlin ? Sans doute ne le saurons-nous jamais avec certitude. Mais il reste dans l'histoire comme l'auteur d'une des plus extraordinaires tentatives pour établir sur terre le règne de Dieu – et d'un échec proportionné à son effort.

(1) Cyril Aldred, Akhenaton, le pharaon mystique (éd. Tallandier, Le Jardin des Arts)

Arcadie n°247/248, Christian Régis, juillet/août 1974

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A
Bonjour, je suis "passionnée" par l'histoire d'Akhénaton...vous aussi, mais ce Mr Christian Régis patauge un peu...c'est normal puisque presque tout a été effacé par le pharaon Horemeb. La chose la plus importante quand on s'intéresse à Akhénaton est de le remettre à l'époque où il a vécu, à savoir le 9ème siècle avant JC et non pas le 14ème! ceci est scientifique puisqu'on a la correspondance d'Amarna et que les pharaon Aménophis III et Akhénaton écrivaient tous 2 à des rois vassaux qui vivaient au 9 ème siècle...je ne comprend pas pourquoi les égyptologues continuent et persistent dans leurs erreurs qui sont "grotesques" aujourd'hui vu les preuves irréfutables!!! les rois assyriens Assurnazirpal II et Salmanazar III vivaient au 9 ème siècle. bonne journée
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J
Merci Madame, pour vos précisions. L'article date de 1974, ce qui peut expliquer les erreurs...