L'amour grec dans la religion par Jean de Nice
Avec l'homophilie dans la religion grecque nous revenons aux amours plus chastes. Il ne s'agit pas, bien entendu, de la mythologie où de nombreux dieux étaient renommés pour leur pédérastie (depuis Zeus enlevant Ganymède jusqu'à Apollon amoureux d'Hyakinthos, Héraclès de Iolaos, Hermès, et l'ithyphallique Priape, dieu des marins), ni des légendes (Orphée initiant les Thraces à l'homosexualité, Thésée, l'hercule efféminé pris pour une fille par des maçons), mais de la religion socratique et des mystères d'Eleusis.
A Éleusis, dans les cérémonies de l'initiation, le second degré était le Sacerdoce. Le Choreute (initié du premier degré) devenait dadouque et portait le flambeau illuminateur et purificateur. Son insigne était le bandeau, de là vient sans doute l'explication des bandelettes que les admirateurs des garçons offraient à ceux qu'ils considéraient comme les plus beaux et les plus dignes. Dans le Banquet, Platon fait dire à Alcibiade : « J'arrive avec ces bandelettes sur la tête afin de les détacher et de les attacher à la tête du plus sage et du plus beau, car voilà le titre qu'il mérite. »
La quatrième phase de ce second degré était constituée par l'initiation à l'amour mystique et philosophique (voir les Mystères d'Eleusis par Magnien, page 286). Cet amour était celui préconisé par Socrate : celui des hommes de bien pour les jeunes gens bons et beaux. Cet amour est longuement analysé dans Le Banquet et dans Phèdre. Il était propre aux philosophes parce que ceux-ci amenaient les jeunes gens à la science, à la conduite des peuples et à la vertu des mœurs. (Plutarque, Sur l'éducation des enfants)
Tel fut l'amour de Socrate pour Alcibiade. Le processus était le suivant : la beauté des corps rappelait au philosophe la beauté de l'âme que celui-ci avait contemplée dans l'au-delà avant de devenir mortel (en effet, pour les philosophes, le ciel existait avant la naissance comme après la mort) et le rappel de cette beauté le faisait souvenir aussi des « idées » qui sont proprement le domaine de la philosophie.
Le philosophe amoureux d'un garçon n'avait alors qu'un but : lui façonner une belle âme.
Cet amour était unanimement loué. Xénophon, Plutarque, Olympiodore, Hermias s'en sont fait les disciples (Ibidem, page 300) et Temitius faisait l'éloge de son père « monté tout droit vers le séjour supérieur où il est assis près de Socrate et de Platon et près de celui qui était l'objet même de son amour : le divin Aristote ».
Nous ne saurions mieux terminer cette étude sur l'amour grec que par la citation précédente.
Ajoutons que dans la Grèce antique, l'homophilie était malheureusement le prétexte à certaines orgies qui n'avaient rien à voir avec l'amour socratique. Dans le livre de Chaussand (Fêtes et courtisanes de la Grèce, Tome I, page 383) Everemus décrit ainsi le culte de Cotys, originaire de Thrace et célébré à Chio, Corinthe et Athènes :
« Ces mystères sont marqués par la licence la plus effrénée. On dit d'un homme efféminé : il est initié aux mystères de Cotys. Les hommes se rassemblent en secret. Leur tête est ornée de bandelettes dorées ; des colliers serpentent sur leur cou ; ils affectent les parures et les attitudes des femmes ; ils relèvent, ils parfument leur chevelure ; ils peignent leurs sourcils et leur visage. On éloigne les femmes. Cependant l'orgie commence. La liqueur de Bacchus est épanchée à grands flots. On la boit dans un priape de verre. Le poète Eupolis joua les mystères de Cotys dans une comédie appelée "les Baptaï". Il en fut la victime ; on prétend qu'ils le jetèrent dans la mer. »
Cette comédie d'Eupolis était en effet intitulée « Baptaï » c'est-à-dire : les « immerseurs ». Nous n'en connaissons plus que le titre. Le mot « baptaï » viendrait du verbe « baptein » qui veut dire « teindre en plongeant dans un liquide » d'où sans doute le verbe baptiser.
On peut dire que, malheureusement, il n'y a rien de nouveau sous le soleil et que le culte de Cotys possède encore, de nos jours, de nombreux adeptes si l'on considère comme des sujets de cette religion les excentriques (pour ne pas dire plus) qui singent les femmes et s'approprient tous leurs défauts sans en avoir les qualités. Peut-être innocemment, ce sont eux qui font le plus de mal à l'homophilie, sentiment tout aussi respectable que les autres, amour de l'homme pour l'homme, sérieux, profond, véritable successeur de l'Amour Grec.
Jean de Nice
Arcadie n°27, mars 1956