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Avez-vous lu Hâfiz ? par Serge Talbot

Publié le par Jean-Yves Alt

« Tout homme dont le cœur vit par l'amour ne meurt jamais. »

Hâfiz (1)

Le plus célèbre des poètes persans naquit au commencement de notre XIVe siècle (le VIIIe de l'Hégire), à Chirâz, capitale de la province du Fars, dont s'empara en 1342 un prince qui régnait déjà à Ispahan : Abou Ishâk Indjou. Sous son règne, brillant et court, le poète trouva de chauds protecteurs.

Hâfiz s'adonna d'abord à l'étude de la théologie et de la jurisprudence, inséparables, en terre d'Islam, de la Révélation Coranique. C'est à son zèle studieux qu'il doit son nom :

Chems Ed Dîn — Soleil de la Religion

Mohammed, nom du prophète,

Hâfiz, celui qui sait le Coran par cœur.

Ses biographes nous apprennent qu'épris de la belle Chakhi-Neba, Hâfiz abandonna cette étude pour cultiver la poésie où, chose étrange, il ne célébra que des garçons. Il y excella. « Nommons fiancée la Parole – et fiancé l'Esprit : c'est un mariage qui est connu – de qui apprécie Hâfiz », a dit Goethe, qui enseignait comme lui le devoir de jouir, selon notre nature, de tout ce dont on peut jouir sans dommage pour autrui.

Une magnifique peinture persane représente le poète de Chirâz dans sa gloire, assis par terre à côté du souverain Abou Ishâk Indjou. Il est en robe blanche, pieds nus et tête nue. Il a de longs cheveux, un beau collier de barbe, une fine moustache, les sourcils allongés, des yeux rêveurs. Dans ses mains délicates il tient un manuscrit précieux.

Hâfiz mourut en 1387, à un âge avancé. Il fut enterré par les soins d'un arrière-petit-fils de Tamerlan, le Sultan Bâber, dans une tombe en albâtre, au Moçalla (mot qui signifie emplacement de prière pour les foules), au milieu d'un site enchanteur, au bord du Rouknâbâd, tellement aimé par le poète qu'il lui donnait la préférence sur le Paradis :

« Echanson, sers le vin qui reste ! Au Paradis tu n'as pas chance de voir les bords du Rouknâbâd ni les allées du Moçalla.

Vivants, les admirateurs de Hâfiz viennent en pèlerinage à son tombeau. Morts, ils font élever leurs tombes autour de la sienne, pour attendre avec lui la Résurrection, parmi l'odeur des roses et la fraîcheur des fontaines, bercés par le chant nocturne des rossignols.

« Viens, mais amène un ménestrel, et du bon vin, à ma tombe pour qu'à ce rythme, à ce parfum, à ce dictame, je me lève. »

Le « Divan » de Hâfiz fut collège du poète et publié par semble à une traduction en d'azur », cher à notre ami Gulendâm : taille de rose.

Le texte se compose de 567 ghazels. Le ghazel est un poème érotique dont le sujet le plus ordinaire est la beauté de l'objet aimé. « C'est de Hâfiz, ces ghazels, quoi qu'on les dirait d'Irâki » dit un vers d'Hâfiz. Irâki, dont les poèmes sont brûlants de, passion, avait un goût irrésistible pour les jeunes hommes. On raconte qu'il suivit jusqu'à Moltan, dans l'Inde, une troupe de Kalenders, parmi lesquels se trouvait un beau garçon.

Comme La Fontaine dans ses Fables, comme Racine dans tout son théâtre, Hâfiz utilise le fonds commun légué par l'art antique, mais il l'interprète à son gré.

« Tes ghazels avait dit le Roi au poète, ne sont pas conformes à la règle du genre, qui exige l'unité du sujet. Dans chacun des tiens en général, il y a deux ou trois sujets mélangés : éloge du vin, doctrine des mystiques, description de la personne aimée...

C'est la vérité même, répliqua Hâfiz, et malgré ce défaut mes vers sont célèbres dans des pays bien loin d'ici tandis que ceux de tel poète que je pourrais nommer ne franchissent pas les portes de Chirâz.. »

Par un caractère qu'il possède à un degré plus éminent encore qu'Horace, Hâfiz répétera maintes fois des vers comme celui-ci : Profite de l'instant... non point parce qu'il passe, mais parce qu'il est plein de richesse :

« Quand la minute passe, du bonheur, capture-la. »

Il aimait, pauvre cœur fou, toutes les manifestations de la vie : l'échanson à gorge nue, les joues pareilles à la rose avec un duvet pareil à la jacinthe, les reflets brillants de la moiteur sur des pommettes roses, les boucles aux tons chinés, le front de Vénus sur la pâleur de la lune, les yeux ivres, les tailles droites comme un cyprès et fines comme un cheveu. Il aimait les vins de rubis dans des coupes débordantes. Il a célébré, en chansons d'amour et en couplets bachiques, les jouissances que lui procurait, bu au son des harpes à taille courbée, l'élixir que vend le Guèbre en la carafe de Chine ou d'Alep :

« Allume d'une flamme de vin notre verre, le nôtre !...

Nous vîmes, nous, la face de l'Aimé au fond des coupes... »

Au sens de l'instant, dans sa présence et sa plénitude, à l'amour épicurien des « Pueri Delicati », ces adolescents aux longes cheveux qui, au temps d'Horace, faisaient, comme les courtisanes, métier de galanterie, Hâfiz joint la tolérance religieuse de l'Islam envers ceux qui ne sont pas musulmans : les Guèbres zoroastriens et les Chrétiens :

« Buvons dès l'aube en écoutant les luths et les tambourins.

Baisons la gorge à l'échanson. La flûte suit la cadence. »

Hâfiz aima sa ville natale aussi prodigieusement qu'Horace la campagne sabine. Il a hanté les murailles en ruines où, dans les villes musulmanes, étaient reléguées les tavernes, les maisons malfamées, les quartiers chrétiens avec leurs églises et leurs couvents. Il a compris et su rendre la poésie des prairies, des parterres de violettes, des rivières bordées de saules, de cyprès, de jasmins et de yeuses, celle des roseraies où chantent les rossignols. Dans son œuvre, toute pleine d'agrestes parfums, le Printemps éclate :

« C'est la splendeur du renouveau qui éclate au jardin.

Du rossignol à la rose arrive un message sans fin...

S'il a des mines gracieuses, l'enfant guèbre qui sert, ah !

de mes cils je te balaierai le seuil, temple du vin ! »

Selon le poète de Chirâz, celui-là est digne d'être admis à baiser le pied de l'Aimé si un pavé à sa porte est son oreiller perpétuel. Le goût immodéré qu'il affiche pour les gracieux éphèbes (« A moi, le vin et l'allégresse avec le beau chérubin ! ») pose un cruel problème aux biographes qui semblent craindre de se déshonorer en touchant à des écrivains dont la vie n'est pas conforme à leur idéal bourgeois : « Ceux-là, ce sont les épileuses, disait J.K. Huysmans dans Là-bas. Des gens ont écrit des livres pour démontrer que Théodora était chaste et que Jan Steen ne buvait point. Un autre a épucé Villon, s'est efforcé de démontrer que la grosse Margot de la ballade n'était pas une femme mais bien l'enseigne d'un cabaret. »

Ces gens-là représentent ainsi qu'un homme sobre et continent ascète et mystique, le poète qui a dit :

« Si tu suis la Voie d'amour, néglige ta réputation. »

Quelle que soit l'interprétation à laquelle on s'arrête, il faut constater qu'Hâfiz, toujours prêt à donner son âme pour un baiser, a décrit non des femmes, mais des hommes, des hommes semblables à la jeune lune qu'un œil pur découvre seul :

« L'Aimé est venu au couvent guèbre, la coupe en main,

très ivre, et de son narcisse, enivrant les buveurs de vin. »

Ce que Hâfiz nomme narcisses, ce sont les prunelles dorées de son ravisseur de cœur, qui se pavane en ses pivoines de beauté et de grâce, avec à ses lèvres la source de Jouvence. Mais les multicolores diamants de la poésie orientale n'empêchent point Hâfiz de voir les êtres avec leur forme et leur attitude :

« L'Ami ne souffre ni rideau, ni voile à sa beauté. »

Chems Ed Dîn (Soleil de la Religion) peint les puits de grâce qu'est la fossette au menton sage, la bouche plus petite qu'un bouton de rose, il confie au Zéphyr un peu de roses cueillies à la joue du bel échanson ; de l'idole il célèbre la lèvre en rubis, le tendre duvet sur la joue, le blanc jasmin de la figure, le front de lune brillante et le port de saule audacieux. Il parle des maux extrêmes que lui font subir, d'un beau Turc aux prunelles de jais, la mouche, l'arc tiré de la courbure de son sourcil, les frisons qui retiennent dans leurs nœuds tant d'âmes prises. Il s'étonne de trouver sur une joue un beau grain à sa couleur étranger, un léger plumetis :

« Des êtres si gracieux, que de grâces ont les vexations ! »

Quant à l'Aimé, pour voir sa face, il faut les yeux de l'Amour :

« C'est un Coran que son visage. »

Les personnages des ghazels sont décrits avec netteté :

C'est dans la salle sans désordre,

« Le convive et le ménestrel rythmant des mains la danse

et l'échanson qui d'une œillade ôte aux buveurs leur sommeil ! »

C'est l'idole, dessinée d'un crayon si vif, que nous la voyons s'élancer allégrement vers le plaisir :

« Boucle en désordre, le front moite, le sourire enivré,

Modelant quelque ghazel, coupe à la main, col déchiré,

L'excitation dans les narcisses, des soupirs à la bouche,

à minuit, hier, il me vint voir et s'asseyant tout près,

Tête penchée à mon oreille, la voix douce, il me dit :

Dors-tu, toi qui de si longtemps est de moi enamouré ? »

C'est l'Ami, faisant rougir de jalousie à son égard la fleur rouge du lilas de Perse, ou déroulant sa bouche, comparée à la vésicule de musc des civettes :

« Ouvrant sa bouche pour que son parfum nous prenne l'âme, il clôt sa porte... »

Ses liens sont si purs que non seulement les hommes, mais encore les plus nobles des anges ne méritent pas leur liberté s'ils ne le suivent pas :

« S'il ne s'envole à ta poursuite, l'oiseau du lotus, qu'en sa cage, il soit renfermé ! »

L'oiseau du Lotus n'est autre que l'Angle Gabriel !

Voici maintenant l'amoureux qui, malgré ses efforts, ne parvient pas à la porte sacrée de l'Aimé, comme le pèlerin qui traverse les déserts d'Arabie sans arriver à La Mecque :

« Ta route passe au large de sa porte, ô pèlerin ! »

Et voici le vent qui, en venant de chez l'Aimé fait disparaître nos peines, et en soufflant sur le bouton de rose, le fait épanouir :

« Mon cœur est comme un bouton de rose, il s'ouvre au Zéphir. »

Hâfiz ne fait-il pas vivre jusqu'à la rose ?

« La Rose, de voir comme à ta joue pourpre la sueur perle, distille dans les feux de jalousie qui les consument. »

Il sait admirer les cils, dont les flèches lui ensanglantent le cœur :

« Quoique sa lèvre soit douce encore de lait maternel, toute personne que ses cils visent est assassinée. »

Il connaît le pouvoir d'une bouche :

« Bouche jolie et minuscule est apanage de roi »,

et d'un menton :

« Ces traits si fins de ton menton me mettent en grand trouble. »

On dit qu'un vers d'Hâfiz courrouça fort Tamerlan :

« Ce garçon turc de Chirâz, s'il me prend mon cœur de ces mains-là, j'offrirai pour sa mouche hindoue et Samarcande et Bouchara ! »

— Comment ! dit le conquérant au poète, j'ai conquis par le sabre la majeure partie du monde habité ; j'ai dévasté mille royaumes pour orner de leurs dépouilles mes belles capitales de Samarcande et de Bouchara pour que toi, chétif insecte, tu ailles les sacrifier ait grain de beauté d'un Turc de Chirâz ?

— C'est par des libéralités de ce genre, répondit Hâfiz, que j'ai été réduit à la misère où je suis.

Pour reprendre une de ses gracieuses comparaisons, le cœur en flammes de Hâfiz a des marques de brûlure depuis l'Eternité, comme la tulipe sauvage. Il lui inspire des accents qui ne trompent pas :

« Toutes les grâces, ce beau brun que l'on admire, il les a : l'œil à feux d'or, et le cœur gai, et le sourire, il les a. »

Ce cœur est pur et sans dorure. C'est un « cœur noir ».

Pour lui, le Monde ne vaut pas un cheveu tiré de l'Ami :

« O mon Turc, à admirer ta grâce qui augmente, je meurs. »

Quiconque, proclame Hâfiz, a vu ta face, a mis un baiser sur mes yeux pour les approuver de t'avoir choisi entre tant de beautés ! Pourtant il se demande :

« Réussirons-nous à faire aller de compagnie jamais notre esprit en ordre et la fossette si volage... la vôtre ! »

Dans ses ghazels on voit passer des Turcs aux pieds charmeurs, des guèbres dont merveille est la démarche, des zingaris. Les zingaris sont des nomades entre Chirâz et Ispahan :

« J'ai de la chance qu'en cette époque d'infidélité,

Ce délicieux Zingari cherche de tant plaire à moi-même. »

Ne nous a-t-il pas confié ?

« Les cœurs ont tous un penchant qui les entraîne.

Le mien est pour les aventures de Ferroukh. »

Artiste curieux et savant, il cherche le trait brillant. Une coutume des buveurs lui en fournit un, bien inattendu. Quand deux buveurs se sont brouillés, celui des deux qui désire le premier la réconciliation retire sa chemise et la brûle. Or Hâfiz ne parle pas de chemise :

« Paix au passé et reviens ! L'homme en ma prunelle de l'œil ôte son froc : froc en offrande libertine qui brûle ! »

Les commentateurs se demandent si c'est à cause du rythme ou de la rime à la persane que le poète a substitué le froc à la chemise. Les poètes orientaux les surprendront toujours : « Comment peut-on être Persan ? »

Avec la liberté que lui concédait la souplesse du ghazel, Hâfiz a pu introduire dans son œuvre maintes critiques pleines d'esprit. Il se gaussait, comme Molière, des hypocrites et des bigots insupportables. Les démonstrations qu'ils nous font en chaire, comme la conduite qu'on leur voit en privé en diffère !

« Hâfiz ne blâme pas les débauchés, car dès toujours,

Dieu nous a dispensés, tu le sais, des bigoteries. »

L'idée théologique de prédestination justifie la tolérance. Si l'on aime ou les vins de rubis ou les beaux garçons, personne n'a le droit de s'y opposer, parce que Dieu l'a voulu. Le poète protesta contre un édit qui fit, pendant quelques années, fermer les tavernes et frapper de peines cruelles ceux qui boiraient du vin :

« Malgré le vin qui te réjouit, le vent qui jette des roses, au son des harpes, ne bois pas : le dur prévôt s'y oppose. »

Avec la sérénité d'un esprit maître de soi, il accepte les croyances traditionnelles dans la mesure où il les juge bonnes et où sa raison y consent, et les repousse si elles prétendent s'imposer tyranniquement par une autorité autre que celle de l'esprit. Dans la Voie de l'Amour, il n'y a pas de différence entre le couvent derviche et la taverne. En tout endroit est un rayon du visage de l'Ami. Chez Hâfiz, la divinisation s'accomplit avec douceur : « Non Minuit Sed Sacravit... » (il n'a pas diminué, mais il a consacré).

Souvent en Orient le sentiment de la Beauté a quelque chose de mystique. Les jardins et les fleurs ne sont pas seulement les M compagnons du plaisir, mais aussi la manifestation la plus séduisante de la magnificence divine. Un mystique d'Orient, Wacithî, n'a-t-il pas dit : « Si tu veux voir la gloire de Dieu, regarde la rose rouge » ? Et le digit du Prophète est connu : « Celui qui cache son amour et en meurt est un martyr. » On sait combien les Arabes aimèrent Platon et Plotin. Comme Platon, Hâfiz part des beautés d'ici-bas pour s'élever jusqu'à la Beauté suprême :

« Mets à profit la voie de la débauche qui est comme la voie vers un trésor qui n'a reçu visite aucune. »

L'occasionnalisme musulman – qui devança de quelques siècles celui de Malebranche — tend à nier les causes secondes. Dieu seul est cause. Il n'y a pas à remonter des causes secondes à la cause première. Comme disait Gide à Nathanaël, il ne faut pas chercher Dieu ailleurs que partout.

Aussi, au lieu du mouvement ascensionnel de l'Eros que Platon décrit dans Le Banquet, trouvons-nous chez Hâfiz une transparence de l'Univers, permettant au regard de l'initié, de l'Epopte, d'y discerner la présence de Dieu. C'est une transparence de cet ordre que Teilhard de Chardin appelle : Diaphanie. Alors que le Costa de Montherlant est plus apte à la spiritualité aussitôt après l'acte sensuel, Hâfiz va au Ciel à travers la Terre ; il communie à Dieu par le monde. Son itinéraire mystique le détache du monde matériel non par coupure, mais par traversée et sublimation. Pour obtenir l'apparition de l'Aimé, il faut nettoyer et polir parfaitement le miroir de son cœur avec le brillant de l'Amour. Comme dira Nietzsche : « La joie veut l'éternité de toutes choses, elle veut la profonde, profonde éternité. » Pour le Persan magnifique qui repose au bord du Rouknâbâd, l'Eternité est l'Epoptisme de toutes les assouvissances.

« Nous avons bu à la mémoire du Bien-Aimé, chantait au XIIIe siècle Ibn El Faridh, un vin qui nous a enivrés avant la création de la vigne. » Si pour les poètes, la coupe de Djem est la coupe de vin, pour les Cheikhs des doctrines mystiques, c'est, allégoriquement, le cœur de l'initié, avec lequel on peut voir les secrets du monde.

L'art raffiné de Hâfiz n'est pas exempt de maniérisme et de préciosité. Pur dans ses goûts, il est affecté dans sa forme La face de l'Aimé est une lune ; son front, Vénus ; ses sourcils, un arc sacré ; sa joue, des roses ; ses yeux, des narcisses ; sa bouche, un bouton de rose ou une pistache ; ses lèvres, un rubis ou du sucre. Sa fosse au menton, avec Hâfiz, a deux cents prisonniers d'amour au sein ! Le cœur de l'Amoureux vient se prendre au piège des boucles de l'Aimé ; sa poitrine offre un creuset au soleil d'Amour ; son âme en flamme capte les ondes de cent fleuves de ses larmes pour arroser la plante de l'Amour qu'au cœur elle sème. Si l'Aimé, dont les yeux ont bu le sang d'Hâfiz dans une œillade, veut débarrasser le monde entier des lois du mal, qu'il secoue ses boucles, qu'on voie choir des milliers d'âmes autour d'elles. « Ali ! qu'en termes galants ces choses-là sont mises ! », dirait Molière.

Mais nous n'avons pas pour ces subtilités la sévérité de l'Ecole classique. Il nous charme peut-être d'autant plus que nous le sentons plus voisin de nous, si proche parfois d'Edmond et de Maurice Rostand, de Francis Vielé-Griffin, de Jean Giraudoux, de Paul Eluard, ce Chems Ed Dîn Mohammed Hâfiz qui disait, il y a quelque six cents ans, dans les jardins enchantés de Chirâz :

« Ton cœur un jour se rendra compte en quel état je me trouve, quand les tulipes renaîtront de ces parterres de sang. »

(1) Arthur Guy : Ghazels de Hâfiz (Librairie Paul Geuthner, 1927). Prix : 9 NF

Arcadie n°105, Serge Talbot (Paul Hillairet), septembre 1962

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