Boys don't cry, Malorie Blackman
Adam est un adolescent qui prend parti souvent contre son frère aîné, Dante, 18 ans tout juste ; il réagit contre le silence et la vie qu'il croit qu'on lui impose.
Ce silence pourtant semble aller de soi, dans cette famille où la mère est décédée suite à un cancer et où les deux fils ont été élevés par leur père, dans un milieu où tout est construit pour paraître parfaitement normal.
Adam pourtant sent très rapidement, bien avant son grand frère, de manière certes instinctive, que s'il se cantonne dans cet univers, il va foncer droit dans le mur. Adam est gay. En grandissant, il lui devient nécessaire d'aller à contre-courant de cette vie, de se battre contre le silence : il refuse d'avoir la tête dans le sable ; il sent tout simplement qu'il lui faut résister pour vivre.
« Je ne cache pas ce que je suis, mais ma famille ne m'encourage pas vraiment à être ouvert sur le sujet. Papa préfère ignorer le fait que je préfère les garçons. Comme s'il y avait un animal étrange dans son salon qu'il pouvait faire disparaître juste en n'y prêtant aucune attention. Dante, lui, agissait comme si c'était une lubie à la mode dont je me débarrasserai à la saison suivante. Alors que je sais que je suis homo depuis que j'ai treize ans. Et qu'en plus, je n'en ai pas honte du tout. Mieux même, j'en suis fier. » (p. 78)
La résistance d'Adam va se trouver facilitée par l'arrivée d'une petite fille, Emma :
« […] quelle a été la première chose que j'ai vue ? Mon frère embrassant Emma sur le front. Encore. Je l'enviais. Il faisait toujours confiance à tout le monde et acceptait chaque situation comme elle se présentait tant qu'il ne voyait pas de raison de faire autrement. » (p. 77)
Emma est la fille que Dante, a conçue, sans le soupçonner un instant, un an auparavant, avec sa petite amie de l’époque. Le soudain papa doit faire face d'une part aux soins quotidiens que son enfant réclame et d'autre part aux questions sur son propre devenir :
« Je réalisais que ses pitreries avaient beaucoup plus d'effet sur moi qu'avant. Je devais me retenir pour ne pas rire trop fort avec elle ou pour ne pas lui sourire trop longtemps ou pour ne pas la laisser prendre toute la place dans ma tête. Je ne voulais pas qu'elle prenne toute la place dans ma tête. Ma vie tourbillonnait à une telle allure que je ne savais plus dans quel sens elle se dirigeait. Mes sentiments et mes pensées étaient dans le chaos le plus total et c'était chaque jour plus compliqué. » (p. 164)
Ce récit fait prendre conscience des liens complexes qui se tissent entre les membres d'une famille. Avec le passé familial, notamment : reproduction des comportements entre ceux, passés, du père et ceux, actuels, du fils aîné. « Boys don't cry » permet qu'assimiler d'où l'on vient est un travail exorbitant mais nécessaire, qu'il est primordial d'essayer de connaître le fonctionnement psychologique de la famille, la reproduction en son sein de certains événements, afin d'y voir clair et de pouvoir faire le tri. Il fait ressortir qu'on n'échappe jamais au sable, il gagne toujours, et le désert avance.
L'homosexualité est explicite dans le récit que font, successivement, les deux narrateurs frères. Malorie Blackman est claire quant aux désirs de ses personnages. Adam voit bien que sa façon de décrire sa sexualité ne plaît pas à tous, tant dans sa famille qu'avec les amis de son frère. Mais Adam limite sa culpabilité à une constatation sociale. Alors que Josh, homosexuel refoulé, ami de Dante et secrètement amoureux d'Adam, intériorise une condamnation morale. Pire puisqu'il enfonce le clou : accusation, insulte, honte, violence sont les seuls éléments qui lui permettent d'affronter le monde quand il souhaiterait affirmer ses désirs sexuels.
Ce roman, plus largement, contribuera à l'éveil des lecteurs à eux-mêmes. Peut-être faut-il que chacun avance pour que la société avance, et non l'inverse.
« – Tout le monde se fiche des "presque", Dante. Si les "presque" comptaient, toute la population adulte, hormis peut-être une ou deux bonnes sœurs, serait en prison. Ne sois pas aussi sévère avec toi-même. Et je vais te dire pour quelle autre raison je suis fière de toi : parce que tu as demandé de l'aide.
Devant mon regard perplexe, ma tante a précisé :
– C'est un truc d'homme. La plupart d'entre vous ont beaucoup de mal à demander de l'aide. Vous considérez que c'est un signe de faiblesse, que les gens vont vous juger et estimer – que Dieu vous en garde ! – que vous n'êtes pas capables de vous en sortir tout seuls. » (p. 271)
■ Boys don't cry, Malorie Blackman, Traduit de l'anglais par Amélie Sarn, Editions Milan Jeunesse, Collection Macadam, octobre 2011, ISBN : 978-2745954992
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