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Colette et l'homophilie par René Soral

Publié le par Jean-Yves Alt

Certains écrivains subissent après leur mort une espèce de purgatoire, c'est-à-dire un déclin de leur célébrité, dans la mesure souvent où ils ont pu connaître dans les dernières années de leur vie cette célébrité auprès du grand public, grâce aux multiples moyens de diffusion que notre époque a suscités : presse à grand tirage, radio, télévision, cinéma.

Mme Colette (dont on ignore généralement qu'elle portait le prénom de Gabrielle), morte en 1954 à l'âge de quatre-vingt-un ans, me semble malheureusement subir cette épreuve du purgatoire. Et pourtant quel solide talent eut cette femme dont Montherlant a dit : « Colette ? Le plus grand écrivain naturel. »

C'est bien cet adjectif qui caractérise le mieux Colette sa vie aussi bien que sa prose ont toujours été naturelles. Elle a suivi sa nature, ses instincts et d'autre part elle a constamment été proche de la nature, plantes, bêtes, paysages. Grâce à quoi elle a pu conserver sa forte personnalité intacte, à travers les vicissitudes d'une vie bien remplie.

Car nous voyons Colette d'après nos souvenirs récents, vieille dame aux yeux de braise, aux cheveux ébouriffés, avec un savoureux accent bourguignon, tenant sur ses genoux paralysés un chien ou un chat, entourée de ses bibelots et de ses boules de verre, et, comme toile de fond, le superbe décor des jardins du Palais Royal. Près d'elle, son mari, qu'elle appelle son meilleur ami, une vieille servante avec laquelle elle prépare des menus succulents. Enfin la réussite exemplaire d'une vie bourgeoise consacrée aux lettres.

Et pourtant, pendant bien des années, Colette fut la personnification du scandale. En 1900 elle est la trop jeune épouse d'un écrivain célèbre, Willy, de quatorze ans son aîné, gras et laid. Il accentue le côté petite fille perverse de sa femme, dont il a l'air d'être le père et prend un trouble plaisir à l'exhiber au Palais de Glace habillée exactement de la même manière que Polaire, actrice scandaleuse, dont la taille était si fine qu'un homme pouvait l'encercler de ses deux mains. Jean Cocteau, dans un merveilleux livre intitulé « Portraits Souvenirs », fait la description de cet étrange trio avec sa verve habituelle.

A vingt ans, Colette connaît le Tout-Paris, mais n'est pas heureuse ; Willy la trompe constamment ; il la pousse à écrire et elle crée le personnage de Claudine qui lui apporte la célébrité littéraire.

Colette divorce en 1906 et, meurtrie, s'éloigne pour un temps des hommes. Après s'être réfugiée à la campagne, dans une « retraite sentimentale », elle devient « la vagabonde », se produit dans les music-halls et les cafés-concerts, à Paris ou en province. Elle danse des pantomimes, s'exhibe en tunique légère, sans même, oh scandale, porter de maillot couleur chair.

Elle se pose en femme libre, s'habille en homme, fume. Plus tard elle sera directrice d'un laboratoire de produits de beauté, journaliste et critique ; instable, elle déménage sans arrêt, voyage. Cependant elle ne cesse pas d'écrire, et de mieux en mieux.

En fait Colette nous a dit, avec son savoureux accent, dans un enregistrement sur disque, vers la fin de sa vie : « Mais je ne vous cacherai pas plus longtemps que je n'ai rien de commun avec la véritable aventureuse. N'importe, je me serai toujours bien amusée en chemin. »

Le célèbre peintre des jolies femmes de la Belle Epoque, Boldini, ne s'y trompa point, comme le raconte Colette :

« Je le vis pour la première fois dans son atelier – Boldini détourna du portrait sa face de griffon et me dévisagea longuement.

— C'est vous qui mettez le smoking le soir ?

— Il a pu m'arriver, pour une soirée costumée...

— C'est vous qui jouez le mime ?

— Oui.

— C'est vous qui êtes sans maillot sur la scène et qui dansez cosi, cosi, toute nue ?

— Pardon, je n'ai jamais paru nue sur une scène – on a pu le dire et l'imprimer, mais la vérité est que... il ne m'écoutait même pas. Il rit avec une grimaçante finesse et me tapota la joue en murmurant : « Bonne petite bourgeoise, bonne petite bourgeoise. »

Colette est toujours restée la solide Bourguignonne gardant le contact avec les réalités, avec la Nature auprès de laquelle elle revient prendre des forces quand elle connaît un échec ou un chagrin.

Elle sait trouver la beauté partout où elle se trouve, dans une fleur, dans le regard d'un chien, dans la recette d'une confiture, dans la beauté d'une femme, dans l'amitié. Toute sa vie Colette a suscité et conservé des amitiés solides et fidèles, aussi bien masculines que féminines. Mais c'est dans son amitié avec des femmes qu'elle a placé tout son cœur, avec Marguerite Moreno, Hélène Picard, Annie et Germaine Beaumont.

Cependant mon propos n'est pas de raconter la vie de Colette ; quant à sa vie sentimentale et à ses expériences sensuelles en dehors de ses trois mariages (dont le dernier fut un modèle de réussite conjugale), elle a observé à ce sujet une discrétion de bon aloi. Respectons cette pudeur mais n'oublions pas qu'elle a mis une grande part d'elle-même dans les personnages féminins de ses romans.

C'est donc au travers de son œuvre que nous pourrons voir comment Colette a réagi devant les problèmes de l'homophilie féminine et masculine.

Elle ne perdit du reste, pas de temps et dès son premier roman « Claudine à l'école », paru en 1900 sous la seule signature de Willy, il est fortement question d'amour lesbien.

Willy, écrivain à la mode et critique musical, n'écrivait jamais ses livres. Paralysé devant la page blanche, il faisait appel à des « nègres » (Jean de Tinan, Curnonsky, Debussy, Vincent d'Indy). Mais le « cas Willy », comme l'écrivit Colette, résidait dans le fait que « l'homme qui n'écrivait pas avait plus de talent que ceux qui écrivaient en ses lieu et place ». Il affectionnait les sujets osés et a même écrit – enfin fait écrire – un livre sur l'homosexualité, intitulé –naturellement — « Le troisième sexe ».

Un an environ après son mariage, Willy dit à sa jeune femme : « Vous devriez jeter sur le papier des souvenirs de l'école primaire. N'avez pas peur des détails piquants, je pourrai peut-être en tirer quelque chose... Les fonds sont bas. » Colette se mit à la tâche, sur des cahiers d'écolier au papier quadrillé. Ce fut dès le début un très grand succès. Colette avait créé un personnage vivant, en partie tiré d'elle-même, et dont elle eut du mal à se débarrasser.

D'autre part, le livre ne manquait pas de passages croustillants, Willy avant demandé « d'échauffer un peu ces enfantillages, par exemple entre Claudine et l'une de ses camarades, une amitié trop tendre (il employa une autre manière brève de se faire comprendre) ».

C'est ainsi que dès les premières pages, Claudine est amoureuse de la jolie institutrice, Mlle Aimée, « nature de chatte, caressante, délicate et frileuse, incroyablement câline ». L'enfant s'arrange pour se faire donner des leçons d'anglais, pendant lesquelles elle se blottit contre la poitrine de sa maîtresse, réclamant caresses et baisers.

Malheureusement Mlle Aimée a une liaison passionnée avec une autre institutrice, autoritaire et jalouse, et elle délaisse Claudine qui assiste parfois, à la dérobée, à des spectacles assez particuliers dont la nature est parfaitement expliquée par l'auteur.

Claudine se rattrape avec une jeune élève, la douce Luce qui adore à la fois se faire battre et se faire caresser et qui envoie à son amie des lettres enflammées.

Dans le second livre de Colette « Claudine à Paris » apparaît le personnage irritant de Marcel. Irritant parce que Colette a cédé à la facilité de créer un personnage trop efféminé, le « cousin en sucre » de Claudine, qui a dix-sept ans et qui est décrit ainsi :

« Je n'ai rien vu de si gentil. Mais c'est une fille, ça ! C'est une gobette en culotte ! Des cheveux blonds, un peu longs, des yeux bleus, des petites anglaises et pas plus de moustaches que moi. Il est rose. Il parle doucement en regardant par terre, on en mangerait. »

Naturellement Marcel suce les loukoums à la rose, se poudre, rit aigu et se déhanche en marchant.

Colette s'en est expliquée, plus tard, en écrivant : « J'ai créé dans « Claudine à Paris » un petit personnage de pédéraste. Moyennant que je les avilissais, j'ai pu louer les traits d'un jeune garçon et m'entretenir, à mots couverts, d'un péril, d'un attrait. »

Il faut noter que Colette parle d'un péril, d'un attrait. C'est celui du goût de la chair fraîche que connaissent si bien les vrais pédérastes et que Colette a su décrire de manière fort troublante. Polaire lui révéla ce goût.

« Lorsqu'un peu plus tard, je fis amitié avec Polaire et que je la vis en larmes à cause d'un orage amoureux, elle me dit, les griffes encore prêtes, avec un abandon de chatte chaude – Ah Colette, ce qu'il peut sentir bon, ce salaud là, et cette peau, et ces dents. Vous ne pouvez pas savoir. »

Les beaux adolescents sont légion dans ses livres. Qui peut oublier la description sensuelle qu'elle a fait des corps de Chéri, l'amant trop joli de la mûre courtisane Léa, de Phil, le fougueux adolescent du « Blé en herbe » qui essaye sa jeune virilité sur l'experte « Dame en blanc » avant de la prouver à sa jeune amie, du jeune lieutenant dont Mitsov tombe amoureuse.

Colette a mis à évoquer la chair de ces jeunes hommes la même sensualité profonde que celle qu'elle a mise dans la description de la beauté féminine, de l'odeur d'une nuque blonde, de la courbe d'un sein, du velouté d'une joue.

Lorsqu'elle aborde les hommes mûrs, les personnages perdent leur solidité sensuelle et psychologique. Dans la plupart de ses romans le personnage principal est une femme ou un adolescent, que l'on retrouve dans les titres : Claudine, Gigi, Mitsov, Chéri, Julie de Carneilhan.

Mais revenons au jeune Marcel, qui permet à Colette de nous décrire certains aspects de l'homophilie du temps du Président Fallières. Marcel, en effet, qui s'intéresse beaucoup aux amours de Claudine et de Luce, sollicite les confidences de sa cousine et, en échange, lui dévoile ses secrets amoureux — Voici par exemple le texte de la lettre qu'il lui lit et qu'il a reçue de son tendre Charlie.

« Mon chéri,

Je vais rechercher ce conte d'Auerbach, et je t'en traduirai les passages où est décrite l'amitié amoureuse de deux enfants. Je sais l'allemand comme le français, cette version n'aura donc pour moi aucune difficulté et je le regrette presque, car il m'aurait été doux d'éprouver quelques peines pour toi, mon seul aimé.

Oh ! oui, seul ! mon seul aimé, mon seul adoré ! Et dire que ta jalousie toujours en éveil vient encore de tiquer ! Ne dis pas non, je sais lire à travers les lignes comme je sais lire au fond de tes yeux, et je ne puis me méprendre à la petite phrase énervée de ta lettre sur "le nouvel ami aux boucles trop noires dont la conversation m'absorbait si fort à la sortie de quatre heures".

Ce prétendu nouvel ami, je le connais à peine ; ce garçonnet "aux boucles trop noires" (pourquoi trop ?) est un Florentin, Giuseppe Bocci, que ses parents ont installé chez B..., le fameux prof. de Philo, pour le soustraire à la dépravation des camaraderies scolaires ; il a des parents qui ont vraiment du nez ! Cet enfant me parlait d'une amusante étude psychologique consacrée par un de ses compatriotes aux « Amicizie di Collegio » que ce Krafft-Ebing transalpin définit, paraît-il "un mimétisme de l'instinct passionnel" — car Italiens, Allemands ou Français, ces matérialistes manifestent, tous, la plus écœurante multicolore imbécilité.

Comme la brochure contient d'amusantes observations, Giuseppe me la prêtera ; je la lui ai demandée... pour qui ? Pour toi, bien entendu, pour toi qui m'en récompense par cet inique soupçon. Reconnais-tu ton injustice ? Alors embrasse-moi. Ne la reconnais-tu pas ? En ce cas, c'est moi qui t'embrasse. Que de bouquins on a fabriqués, déjà, traitant plus ou moins maladroitement de cette question, complexe entre toutes !

Pour me retrouver dans ma foi et ma religion sexuelle, j'ai relu les brûlants sonnets de Shakespeare au comte de Pembroke, ceux, non moins idolâtres, de Michel-Ange à Cavalieri, je me suis fortifié en reprenant des passages de Montaigne, de Tennyson, de Wagner, de Walt Whitman et de Carpenter.

Mon svelte enfant chéri, mon Tanagra tiède et souple, je baise tes yeux qui palpitent. Tu le sais, tout ce passé malsain que je t'ai sacrifié sans hésitation, tout ce passé de curiosités avilissantes, à présent détestées, me semble aujourd'hui un cauchemar douloureux et lointain – la tendresse seule demeure, et m'exalte, et m'incendie.

Zut, il me reste juste un quart d'heure pour étudier "le Conceptualisme d'Abélard". Ses conceptions devaient être d'un ordre particulier, à cet amputé.

A toi corps et âme.

Ton Charlie. »

Le passé malsain auquel Charlie fait allusion est représenté par une lettre de style et d'orthographe très différents :

« Tant qu'à moi, je ne vous conseye pas d'allé rue Traversière, mais vous ne risqué rien de m'accompagner chez Léon ; c'est une salle aventageuse, près de la brasserie que je vous ai causé, et vous y verrez des personnes qui valent la peine, des écuilliers de Médrano eccetera. Pour ce qui est d'Ernestine et de la Charançonné, ayez l'œil ! je ne crois pas que Victorine a déjà tiré au sort. Rue Laffitte, grand-mère a dû vous dire que l'hôtel est sûr. »

Claudine sympathise beaucoup avec son ravissant cousin, bien qu'elle soit gênée de marcher dans la rue avec lui, tellement il attire les regards. Mais elle rencontre Renaud, le père de Marcel, séduisant quadragénaire, dont elle s'éprend et qui finit par l'épouser, ce qui amène une brouille à coups d'ongles avec Marcel, qui déteste son père.

Dans le livre suivant, « Claudine en ménage », notre héroïne fait la connaissance de Rézi, ravissante Viennoise aux cheveux d'or, qui fait tout ce qu'elle peut pour troubler Claudine, la séduire et l'amener dans ses bras, sous le regard amusé de Renaud qui, s'il voit d'un mauvais œil les goûts de son fils, ne voit aucun inconvénient à ce que sa femme le trompe avec une autre femme. Et finalement c'est lui qui donnera à Claudine la clef d'un petit appartement discret où les deux femmes, loin de leurs maris, pourront se livrer aux joies de l'amour lesbien.

Claudine y prend goût et raconte ses ébats avec précision.

Comme Renaud semble trop curieux d'assister à ces rencontres, Claudine demande à Marcel – avec lequel elle s'est réconciliée – de lui prêter la clef de son appartement.

Comme dit Marcel, c'est un tout petit appartement de cocotte. Rien n'y manque : aquarium avec poissons chinois, brûle-parfums, rideaux roses, statuettes chinoises, coussins brodés d'or et d'argent, et le portrait du maître de maison, en grande byzantine. Les deux amies se livrent avec fougue à la volupté.

Mais un jour Claudine surprend Rézi dans les bras de Renaud (de même que Colette a surpris l'une de ses amies dans les bras de Willy ; comme cela arrivera encore plus d'une fois, Colette, un jour, trouvant une femme en petite tenue sur les genoux de son mari, s'excuse de les déranger et dit « vite, malheureux, vite, la suivante attend depuis un quart d'heure ! »).

Claudine, déçue dans son amour conjugal et dans son amour homosexuel, constate tristement que « le vice, c'est le mal qu'on fait sans plaisir ».

Colette n'ira plus jamais aussi loin dans la description de l'amour lesbien. Willy ne sera plus là pour lui faire ajouter des scènes scabreuses qu'il affectionne, sans les comprendre, car, comme l'écrit Colette, « Deux femmes enlacées ne seront jamais pour lui qu'un groupe polisson et non l'image mélancolique et touchante de deux faiblesses peut-être réfugiées aux bras l'une de l'autre pour y dormir, pour y pleurer, fuir l'homme souvent méchant et goûter, mieux que tout plaisir, l'amer bonheur de se sentir pareilles, infimes, oubliées ».

Colette raconte que certains hommes estimaient même que des rapports érotiques entre deux femmes ne pouvaient qu'améliorer leurs qualités amoureuses ; ainsi le duc de Morny confiait ses jeunes maîtresses inexpertes à une femme d'expérience en lui disant : « Je te confie la merveille incomplète. Sache la parfaire et me la rendre. »

Colette, séparée de son mari, divorce en 1906 et écrit sous son nom « La retraite sentimentale » qui clôt la série des Claudine. Celle-ci se trouve à la campagne, chez une amie, Annie, qui a également connu des déboires amoureux ; quant à Renaud, il est gravement malade et en traitement dans un hôpital. Arrive un télégramme affolé de Marcel : « Puis-je venir ? Je perds la tête. » Il a été en effet victime d'une bande de truqueurs qui l'ont fait chanter et il cherche à leur échapper. C'est que Marcel aime la peau douce et le joli visage des collégiens. Il fait ses confidences à Claudine :

« Ah ! jeunesse ! Ce n'est pas ma jeunesse que je regrette, mais la leur ! Que deviendront-ils mes jolis gosses de partout ? Pour un qui se garde lisse, mince et blanc, combien tournent au triste coq enroué, taché de boutons, sali de barbe, honteux de lui-même, qui court par imbécillité derrière les jupes des cuisinières ».

Marcel révèle une hiérarchie secrète de certains collèges où des élèves sont nommés « courtisanes sacrées ».

Hélas ! l'amie de Claudine aime également la chair fraîche dont elle est privée. Celle de Marcel la tente beaucoup ; sous prétexte de rangement, elle se précipite sur lui dans une penderie obscure, ce qui nous vaut une scène du plus haut comique, Marcel poussant des hurlements de vierge que l'on viole.

Marcel disparaît, Renaud meurt et Claudine se retrouve seule avec son chien.

Dans le reste de l'œuvre de Colette, à l'exception du livre « Le pur et l'impur », l'homophilie masculine ou féminine n'apparaît plus que par bribes.

Amour lesbien, généralement malheureux dans « L'envers du music-hall », « La femme cachée », « Mes apprentissages », « L'étoile Vesper ». Dans « Bella Vista », Colette décrit un couple de lesbiennes, mais on apprend à la fin du livre que la plus virile des deux est en réalité un homme travesti pour échapper à la justice.

Des homophiles sont décrits dans « La maison de Claudine » (un jeune premier de tournées provinciales séduit les femmes de la petite ville par sa beauté et lance parmi les hommes la mode de la broderie) et dans « L'étoile Vesper » Colette y donne la réponse que lui fit un jour Tardieu, qui aimait les sergents de ville jeunes et beaux, à la question suivante « pourquoi, Tardieu ? » — « Parce qu'en même temps que je satisfais à ma conception personnelle de l'érotisme, j'ai, quand une de ces cariatides me cède, le plaisir anarchique – mettons l'illusion – de saper une des bases de la société. »

Dans ce même livre, Colette s'attriste en regardant des photos de travestis. « Comme c'est triste, ces chiffons de dentelles sur des cuisses noires de poils, ces buissons pileux autour d'un sexe informe, ces jarretières de roses rococo sur une rotule caillouteuse. »

Cependant elle évoque Barbette, trapéziste qui séduisit les foules (et Jean Cocteau) vers les années 1920, parce qu'il faisait son numéro habillé en femme. Elle trouve qu'habillé en homme « la mystérieuse statue de Barbette-homme me sembla plus troublante, plus menteuse aussi que l'apothéose désespérée de Barbette-femme ».

Qu'aurait dit Colette en voyant les travestis actuels, avec leurs seins opulents et hormonaux ou même avec leur absence de sexe ?

Une très belle histoire, sans être franchement homosexuelle, nous est contée par Colette dans « Bella Vista » où un homme renonce à une nuit d'amour avec la femme qu'il désire, dans la nature marocaine, en découvrant un jeune arabe très beau, grièvement blessé, auprès duquel il passera la nuit.

Mais le livre le plus important écrit en 1932 par Colette sur le sujet qui nous intéresse est « Le pur et l'impur », qu'elle intitulera d'abord « Ces plaisirs » (ceux « qu'à la légère on nomme physiques », a dit Rémy de Gourmont)

L'amour hétérosexuel n'a qu'une assez faible part dans ce livre, avec les deux premiers chapitres. Elle décrit d'abord une femme frigide qui, par amour, simule le plaisir, et ce, en public, dans une fumerie d'opium. Puis un don Juan qui fascine les femmes, leur révèle leur volupté, mais les quitte aussitôt pour aller vers une autre. C'est lui qui a ce mot cruel pour Colette : « Vous, une femme ? Vous voudriez bien...

Colette avoue en effet sa « virilité spirituelle » qui, d'après Marguerite Moreno, son amie, représente un danger d'homosexualité pour certains hommes car « tant d'hommes ont dans l'esprit quelque chose de femelle, même lorsqu'ils sont inattaquables sur le chapitre des mœurs ». Mais Marguerite Moreno ajoute : « Seules les femmes ne sont ni offensées ni abusées par notre virilité spirituelle. »

Colette décrit alors certains milieux lesbiens qu'elle a fréquentés. Salons élégants, bars douteux où se réunissent les femmes qui singent le mâle par leurs vêtements, leurs allures. Un chapitre entier est consacré à Renée Vivien, la belle poétesse, qui disait à Colette : « Il y a moins de manières de faire l'amour qu'on ne dit, mais plus qu'on ne croit. »

Colette raconte l'histoire des dames de Llangollen, ces deux jeunes aristocrates anglaises qui s'enfuirent ensemble en 1778, au grand scandale de leurs familles, et vécurent plus de cinquante ans, isolées, dans un cottage du pays de Galles, parfaitement heureuses.

Colette estime que l'amour lesbien doit dépasser le plaisir physique ; s'il naît d'une sorte de parenté, de similitude, il doit se satisfaire d'une sensualité sans exigence, « heureuse du regard échangé, du bras sur l'épaule, émue de l'odeur de blé tiède réfugiée dans la chevelure ; ce sont les délices de la présence constante et de l'habitude qui engendrent et excusent la fidélité... Il n'y aura jamais assez de blâme sur les saphos de rencontre, celle du restaurant, du dancing, du train bleu et du trottoir, celle qui provoque, qui rit au lieu de soupirer ».

Car pour Colette, il semble que l'amour lesbien doit être essentiellement triste et menacé par l'homme « nécessaire et néfaste comme un rigoureux climat natal ».

Mais Gomorrhe n'est rien, dit-elle, auprès de Sodome. « Intacte, énorme, éternelle, Sodome contemple de haut sa contrefaçon ; intacte, énorme, éternelle, voilà de grands adjectifs et qui sentent la considération, tout au moins celle qu'on doit à une puissance. Je ne le nie pas. »

Colette décrit alors quelques-uns des homophiles qu'elle a connus, surtout dans sa jeunesse troublée.

« Les fréquentant souvent, les questionnant rarement..., je me garderai bien de dire qu'ils étaient peu virils. Un être à figure d'homme est viril par cela même qu'il contracte une manière de vivre dangereuse et des assurances de mourir exceptionnellement. Morts violentes, inévitables chantages, entôlages, honteux procès... »

On voit qu'il n'y a rien de nouveau sous le, soleil.

Colette nous parle des nobles qui aiment les mauvais garçons ou les assassins, de ceux qui n'aiment que les garçons virils.

Elle nous conte l'affreuse déception de cet homme qui était attiré que par des grands ouvriers très blonds, en vêtements de travail. Il voit un jour paraître son idéal personnifié, superbe, aux yeux « d'un bleu qui n'avait pas de nom » et avec de longues moustaches « d'un poil d'or aveuglant en banderole au travers du visage... ».

« — Ali ! balbutia-t-il... Vercingétorix.

« Il appuya ses deux mains sur son cœur enfin déchiré et referma la bouche. Un homme a le droit de soupirer « Adèle » ou « Rose » ! et de baiser publiquement le portrait d'une dame, mais il faut étouffer les noms de Daphnis ou d'Ernest. »

Il suit le bel ouvrier qui lui sourit, finit par l'emmener chez lui, et demande à son visiteur d'attendre quelques instants. Vercingétorix disparaît dans une pièce voisine ; notre homme défaille de peur et de plaisir, lorsque la porte s'ouvre et il voit apparaître l'ouvrier, en chemise à faveur, décolletée et portant, sur la tête, une couronne de roses pompons. Le pauvre homme ne s'en est jamais remis.

Colette nous dit aussi qu'elle prit des leçons de dissimulation auprès de ses amis homosexuels. « Auprès de leur art de feindre, tout semble imparfait. »

Mais Colette ne décrit pas que « le garçon à la fois efféminé et dur, fardé d'ocre » qu'elle connut en 1925 ou que « tels amis de 1898, 1900, scandaleux à bon compte, fastueux jusqu'à la pierre de lune et à la chrysoprase, et ridicules à coup sûr ». Elle décrit, dans l'un des plus beaux passages de son livre, un couple formé, l'aîné par un écrivain de talent et le cadet par un jeune paysan « couleur de blé, couleur de pommier fleuri », qui partent ensemble à pied, couchant au bord des chemins, faire les foins dans la famille du « petit ».

« L'aîné, qui fut tué devant l'ennemi, n'est pas de ceux qui se laissent oublier. Pour le cadet, l'odeur des foins, quand il échevèle à la fourche les andains, serre peut-être son cœur qui fut comblé... Amitié, mâle amitié, sentiment insondable ! Pourquoi le plaisir amoureux serait-il le seul sanglot d'exaltation qui fût interdit ?... Je laisse paraître une complaisance qu'on trouvera étrange, qu'on blâmera. La paire d'hommes que je viens brièvement de peindre, il est vrai qu'elle m'a donné l'image de l'union, et même de la dignité. Une espèce d'austérité la couvrait, austérité nécessaire et que pourtant je ne puis comparer à nulle autre, car elle n'était pas de parade ni de précaution, ni engendrée par la peur morbide qui galvanise, plus souvent qu'elle ne bride, tant de pourchassés. Il est en moi de reconnaître à la pédérastie une manière de légitimité et d'admettre son caractère éternel. »

Que peut-on ajouter à ces lignes admirables, sinon Merci, Madame Colette

René Soral (pseudo de René Larose)

Arcadie n°127/128, juillet/août 1964 

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