Devant une statue d'Antinoüs par Jean de Nice
Pourquoi, malgré la ressemblance de ces deux statues, M. Picard (Manuel d'archéologie grecque. La sculpture. Période classique. IVe siècle, première partie, tome 2, page 511, Editions Picard, Paris, 1948), écrit-il : « Le Doryphore eut été tenté peut-être de parler sévèrement ou dédaigneusement aux éphèbes praxitéliens » ?
Il est d'usage, en effet, de considérer les jeunes gens de Praxitèle comme efféminés. Leur hanchement accentué leur donnerait une allure équivoque (?). On pourrait répondre à M. Picard que ni le Sauroctone, ni le Periboetos, ni même l'Hermès plus âgé, ne sont des athlètes comme le Doryphore. Les muscles du porteur de lance sont très apparents et dénotent l'entraînement intensif d'un athlète du pentathlon. Il possède les bras, les épaules et les pectoraux d'un lutteur, les cuisses, les mollets et le célèbre bourrelet Sus-rotulien du coureur et du sauteur, les obliques du lanceur de disque et de javelot ; chez lui les aponévroses abdominales ressortent.
Aucune de ces caractéristiques ne se retrouve chez Antinoüs. Un corps de 19 ans ne peut présenter la musculature d'un athlète qualifié par Pline de « viriliter puer » en opposition au « molliter juvenis » qu'était le Diadoumenos pourtant plus musclé qu'Antinoüs.
Loin de parler sévèrement ou dédaigneusement à son « Junior le Doryphore se serait reconnu en lui lorsqu'il avait son âge et l'aurait encouragé à « sculpter son corps » par l'entraînement physique.
L'académie d'Antinoüs constitue en langage sportif un « beau départ ». Sa morphologie le prouve. Il possède sept têtes dans le corps comme le fameux canon de Polyclète, ainsi que les dimensions signalées par Gallien et relatées par le sculpteur Guillaume – voir Le nu dans l'art grec du Professeur Richer (Plon, 1926, page 231).
Si l'Antinoüs de Capoue n'est pas un athlète, c'est en tout cas, un garçon, un vrai garçon. Bien que de style praxitélien, il n'est ni le rêveur porteur de l'enfant Dionysies, ni le gosse à la coiffure féminine taquinant un lézard. Il n'est pas davantage le petit satyre un peu polisson découvrant nonchalamment son bas-ventre en « visiteur du soir pour tentations de saints du paganisme » (Picard, ibid, page 522). Il n'est surtout pas le mignon dégénéré comme beaucoup sont trop enclins à se le représenter. Il est le prototype de l'éphèbe au front têtu, au regard dur, à la bouche autoritaire, qui n'a rien d'une fille et c'est pourquoi nous l'aimons.
Et, devant sa statue, l'imagination s'exalte. On revoit le favori d'Hadrien, non plus nu mais vêtu de la courte chlamyde, le manteau thrace des cavaliers flottant sur les épaules, le petasos pendu dans le dos, les mollets durs dont les courtes bottes (embadès) font ressortir le galbe, les cuisses nues serrant « à poils » le fougueux pur-sang des haras du Sangarios. Et, aujourd'hui surtout, où l'équitation paraît renaître de ses cendres, nous le revoyons galopant aux côtés de l'Empereur. Ils formaient un beau couple car Hadrien était beau avec sa barbe blonde et son beau profil. Couple homophile idéal et qui avait bien son esthétique.
Nous pouvons même nous représenter ces galopades, ici, chez nous en notre pays de France, sur les chemins de Provence, la « provincia » romaine tellement semblable à la Grèce qu'Antinoüs pouvait y retrouver l'Arcadie de ses ancêtres.
Dans ses voyages à travers l'Empire, Hadrien séjourna à Apta Julia, devenue Apt, en Vaucluse. Il fit réparer le pont Julien construit par César dans la colonie de ce nom et que l'on peut encore admirer sur le Calavon, à l'extrémité du territoire de Bonnieux. Il fit bâtir également deux nouveaux ponts : l'un sur la Doue et l'autre sur le bras du Galavon qui traversait Apta Julia.
Certains auteurs (Ruffier, Galliae antiquitates, pages 157 et 158) prétendent même, mais sans preuves, que l'arc de triomphe d'Orange fut élevé en son honneur.
Hadrien caracola donc en Provence. D'après Dion Cassius, il montait un cheval appelé « Borysthénès ». A sa mort, il lui fit construire un sépulcre et lui éleva une stèle. Or, l'on découvrit à Apt en 1604, en creusant un puits sur la place d'évêché, un marbre noir contenant l'inscription funèbre de Borysthénès (d'après Barjavel, Dictionnaire du département de Vaucluse, Devillario, Carpentras, 1841, tome 2, page 66).
Tout cela est bien vieux. Cependant le couple Hadrien-Antinoüs restera éternellement jeune en dépit des calomnies et des médisances.
C'est en tout cas le vœu que l'on peut formuler devant la statue du bel éphèbe.