L'énigme du Puits d'Enfer, Jacquemard-Senecal
Jean-Michel Senecal (dit Jacquemard-Senecal) prévient ses lecteurs en aparté dès le début de son roman : il a « l'imagination pervertie par [de] mauvaises lectures et [de] déplorables fréquentations ». (p. 10)
Le commissaire Dullac se retrouve aux Sables d'Olonne pour d'hypothétiques vacances, vite interrompues, par une cascade de cadavres découverts au fond d'un gouffre appelé « Puits d'Enfer » :
« À moins de cinq kilomètres au sud des Sables d'Olonne et non loin de cette belle et large baie qui a nom Cayola, en bordure même du littoral, la falaise rocheuse se fend soudain en une impressionnante crevasse naturelle et cette crevasse est si abrupte que le soleil n'y pénètre jamais et elle est si profonde qu'à peine on y distingue, tout en bas, le bouillonnement de l'écume ! [… C'est] à la nuit qu'il faut venir la voir, à la nuit de pleine lune, ou bien, si la lune fait défaut, faut-il du moins l'entendre au rythme des marées, car le ressac, amplifié par l'entonnoir rocheux, émet un bruit d'enfer auquel la crevasse doit son nom. » (p. 25)
L'auteur a écrit un roman empli de cynisme et de violence sans oublier l'humour ; un roman populaire dans le style d'Eugène Sue, avec des résonances sociologiques modernes.
Les personnages sont savoureux. Il y a :
♦ le commissaire Lancelot/Lucien Dullac qui n'est pas un policier ordinaire : peut-on espérer, sinon croire, qu'un personnage comme lui ait quelque chance d'exister dans la police d'aujourd'hui ?
« Tout autre policier que Dullac, dans ce genre de circonstances, eût immédiatement exhibé sa carte et obligé l'insolent à rabattre d'un ton. Mais Dullac y répugnait ; il voulait que l'autre lui offrît le respect auquel à droit n'importe quel être humain et non une politesse de commande motivée par la crainte. » (p. 56)
♦ Michel Mesnard, peintre, homosexuel, plutôt porté à « croquer » les jeunes minets et qui n'a pas sa langue dans sa poche quand il s'agit des conventions :
« On se baigne ? redit Michel [au commissaire Dullac]
— Non.
— Parce que ?
— Parce que cela me gêne ! reconnut honnêtement le commissaire. Avec ce diable de garçon, il valait mieux dire la vérité que d'invoquer un improbable rhume.
— Et pourquoi cela vous gêne-t-il ? insistait son tortionnaire.
— Pas de pitié, hein ? Cela me gêne, j'imagine, parce que je ne suis pas beau.
— Je ne le suis pas non plus, dit Michel. Ce n'est pas de cela qu'il est question. Je veux dire : d'un spectacle. Il s'agit de vivre. D'éprouver.
— Le plaisir des yeux, ça compte.
— Soit. Mais la beauté est donnée à certains afin que tous en profitent. Regardez les beaux avec admiration et les autres avec tendresse. » (pp. 176/177)
On rencontre aussi des dames très « Agatha Christie », trois cousins approchant la vingtaine et que Michel appelle « les Trois Cousines » (p. 67), un instituteur en retraite qui pense que les lois ne sont jamais assez sévères… sans oublier des politiques, des promoteurs et un marquis pourris.
Jean-Michel Senecal n'a de cesse de fustiger tous les pouvoirs établis – foyers de toutes les corruptions – dans la France provinciale de la fin des années 70. Il ne peut s'empêcher de brosser le portrait d'une comédie humaine grinçante à souhait : plus précisément, dans ce roman, les implications politico-immobilières d'un promoteur, qui massacre les côtes vendéennes, sur fond de manifestations anti-nucléaires à Creys-Malville.
L'énigme du Puits d'Enfer trouve bien sûr sa solution mais avec un certain goût d'amertume dans la bouche du commissaire Dullac :
« Tout ce qui lui avait paru innocence et clarté se révélait ténèbres monstrueuses. » (p. 223)
Le lecteur, quant à lui, est passionné jusqu'au dénouement.
■ Éditions Entre Chiens et Loups, 1987, ISBN : 2906540307