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Entre les lignes : Madame Palatine par Jacques Fréville

Publié le par Jean-Yves Alt

Chers cousins d'Arcadie,

Parcourons aujourd'hui, s'il vous plait, quelques unes des innombrables lettres de Madame, la deuxième Madame la Palatine.

Il n'est pas sans intérêt, je pense, de connaître son sentiment sur l'Arcadie du Grand Siècle, car cette femme – si elle épousa souvent les préjugés de son temps – porta sur les choses et les gens qu'elle étudia un regard très personnel. Son « franc-parler », nul de vous ne l'ignore, était légendaire. Et sa verdeur est quelquefois plaisante.

1670. Le 30 juin : « Madame se meurt, Madame est morte ». Monsieur est veuf. Il se console avec ses chers « Lorrains ».

« Le goût de Monsieur n'était pas celui des femmes, et il ne s'en cachait même pas; ce même goût lui avait donné le chevalier de Lorraine pour maître et il le demeura toute sa vie... ». Bel exemple d'une rare fidélité... Faisons ici crédit à cette méchante langue de Saint-Simon.

Monsieur, pourtant, était fort vaillant homme. « On a des exemples de son comportement militaire, écrit Hubert Juin ; ils sont remarquables. Il restait sous la mitraille à la tête de ses troupes à cheval quinze heures durant s'il le fallait. Comme il remportait des triomphes sur le front, on l'en éloigna ». Et Monsieur, à Saint-Cloud, retrouva ses « Mignons ».

Novembre 1671 Monsieur épouse la deuxième Madame. C'est la Palatine grande, lourde, hommasse, une Allemande bon teint.

Mal assorti, le couple aura plusieurs enfants. L'un d'eux deviendra le régent de France, à la mort de Louis XIV.

Pendant que Monsieur la trompe avec ses chers « Lorrains », Madame écrit. « Elle écrit, nous dit Hubert Juin, comme elle chasse ou comme elle mange : gloutonnement et à bride abattue ».

Parcourons donc cette énorme correspondance.

20 décembre 1687 : « Tous les jeunes gens et beaucoup de vieux sont tellement entachés de ce vice, que l'on n'entend plus parler d'autre chose ; on tourne en ridicule tout autre galanterie, et il n'y a que les gens du commun qui aiment les femmes... »

26 août 1689 : Il est question (le nommer le marquis d'Effiat, grand écuyer de Monsieur, comme gouverneur de son fils.

« Il est certain, écrit Madame, qu'il n'y a pas de plus grand sodomite en France que lui et ce serait un mauvais début pour un jeune prince comme est mon fils que de commencer sa vie par les plus horribles débauches du monde...» Suivent de piquantes précisions. Le chancelier de Terrat, secrétaire des commandements de Monsieur, intervient, pour convaincre Madame. L'argumentation vaut d'être rapportée :

« Je vous prie, dit-il, de considérer que quoi qu'on n'ait pas toutes les vertus, quand on a de l'esprit comme M. d'Effiat en a, on la peut enseigner à un jeune prince et ne voyez-vous pas souvent les mères les plus débauchées élever à merveille leurs filles, elles savent éviter le mal, l'avant pratiqué... » N'est-ce pas tout bonnement délicieux... et pas si sot ?

24 avril 1698 : Madame commence à nous parler de Guillaume III d'Orange, roi d'Angleterre depuis 1689 :

« Mon fils demanda si Kapel était un homme de mérite.

« Oui, répondit un Anglais, il a le mérite d'avoir dix-sept ans et d'être beau garçon ; voilà comme le roi d'Angleterre le veut ». Et là dessus, ils se mirent à raconter cent infamies et historiettes sur les débauches du roi Guillaume. Il faut avouer que c'est une extravagante nation ».

23 juin 1699 : « Je sais grand gré à nos bons et honnêtes Allemands de ne pas tomber dans l'horrible vice qui est tellement en vogue ici qu'on ne s'en cache plus, car on plaisante les jeunes gens de ce que tel ou tel est amoureux d'eux, comme en Allemagne on plaisante une fille à marier. Il y a pis : les femmes sont amoureuses les unes des autres, ce qui me dégoûte encore plus que tout le reste... »

1701 : Monsieur meurt. Madame hurle... qu'elle ne veut pas aller dans un couvent. On lui laisse Saint-Cloud. Elle y met de l'ordre :

« Si l'on pouvait savoir dans l'autre monde ce qui se passe dans celui-ci, feu Monsieur serait fort content de moi, car j'ai cherché, dans ses bahuts, toutes les lettres que ses mignons lui ont écrites et les ai brûlées sans les lire, afin qu'elles ne tombent pas en d'autres mains... » (30 juin)

12 octobre suivant : « Le roi Guillaume » (c'est toujours Guillaume III) « change souvent de favoris ; il en a un autre, dit-on, à la place d'Albermale. Il n'y a rien d'étonnant à ce que la reine, sa femme, n'ait pas eu de rivales de son vivant. Ceux qui ont ces goûts-là ne se moquent pas mal des femmes. Je suis devenue en France tellement savante sur ce chapitre que je pourrais écrire des livres là-dessus. »

13 décembre : « Ce qu'on dit du roi Guillaume n'est que trop vrai ; mais tous les héros étaient ainsi : Hercule, Thésée, Alexandre, César, tous étaient ainsi et avaient leurs favoris. Ceux qui, tout en croyant aux saintes Ecritures, sont entachés de vice-là, s'imaginent que ce n'était un péché que tant que le monde n'était pas peuplé. Ils s'en cachent tant qu'ils peuvent pour ne pas blesser le vulgaire, mais entre gens de qualité on en parle ouvertement. Ils estiment que c'est une gentilesse et ne font pas faute de dire que depuis Sodome et Gomorrhe notre seigneur Dieu n'a plus puni personne pour ce motif. »

9 avril 1702 : Madame reste équitable et lucide :

« Cela ne m'a pas étonné du tout que le roi Guillaume soit mort avec tant de fermeté. On meurt d'ordinaire comme on a vécu. Mlle de Malause m'écrit que Mylord Albermale a failli, de chagrin, suivre son maître dans la tombe : il était à la mort. Cela me touche grandement : il ne nous a pas été donné de voir pareille amitié lors de la mort de mon mari... »

Bel hommage pour chacun des deux amants Anglais, et précieux sous la plume de « cette si rogue et fière Allemande » comme l'appelait justement Saint-Simon. Elle parlait d'or et en orfèvre.

Mais pour être, par éclairs, lucide, voire sensible, on n'en appartient pas moins à son siècle, on n'en endosse pas moins les préjugés courants. Témoin ceci :

« Il se commet plus d'horreurs à Paris que jamais, il ne s'en est commis chez les gentils, voire même à Sodome et à Gomorrhe (...), les vicieux sont aimés et les gens vertueux, on les hait » (4 janvier 1720). Le comte de Horn assassine-t-il, dans un tripot ? L'explication arrive, toute simple : « C'était un homme bien léger sous tous les rapports, sodomiste au plus haut point, bref il n'y avait de recommandable en lui que sa jolie figure, car la naissance ne doit être comptée pour rien quand la vertu ne vient s'y associer... » (21 avril 1720).

Les années passent ; Madame vieillit. Elle est de moins en moins indulgente : « Tout ce qu'on lit dans la Bible sur la façon dont se passaient les choses avant le déluge, ou à Sodome et à Gomorrhe, n'est rien à côté de la vie qu'on mène à Paris. Sur neuf jeunes gens de qualité qui dînaient il y a quelques jours avec mon petit-fils le duc de Chartres, sept avaient le mal français. N'est-ce pas affreux ? » (26 avril 1721). Car pour Madame, le « mal Florentin », c'est le « mal Français ».

Indulgente, pourtant, Madame sait l'être, pour son fils, le Régent, à qui elle passe tout. Mais elle a, pour le voir, les yeux d'une mère.

N'achevons pas cette lettre, cousins, sur une fâcheuse impression. Voici une lettre de la Palatine, dans laquelle nous trouvons toute la philosophie, un peu épaisse et courte, mais si sage, tout compte fait, tout l'humour un peu lourd et bien en chair de la deuxième Madame ; elle est, cette lettre, du 30 septembre 1705 :

« Je ne peux nier qu'on ne dit guère de bien du collège des Jésuites ; mais là comme ailleurs, il n'y a que ceux qui sont débauchés qui courent des dangers (...). De lire la Bible, cela n'y fait rien. Ruvigny, l'un des anciens du temple de Charenton, était un des pires de la clique ; lui et son frère, La Caillemotte, étaient réformés et lisaient toujours la Bible et ils faisaient pis que n'importe Qui (...). Ils entendaient fort bien raillerie quand on les pfaisautait à ce sujet. »

La voilà bien, la manière de la Palatine ; le voilà bien, son sens de l'observation. Une telle lettre est fort précieuse pour qui sait à quel point cette protestante mal convertie au catholicisme, par raison d'Etat, resta fidèle toute sa vie aux idées de la Réforme. Elle sait bien que, même chez ces réformés dont elle se fit souvent le défenseur intrépide, la nature est toujours la nature.

La leçon de Madame est sans doute là. Quand elle parle de ce fameux « vice français », comme elle l'appelle, elle ne tarit pas de sarcasmes : c'est concession au goût du temps ; c'est aussi rigorisme puritain, souvenir de son éducation.

Mais au-delà de ces cris (Madame s'entendait à hurler comme personne, même dans ses lettres), il y a de certains moments de lucidité, de sensibilité qui se font jour, parfois.

Au roi Guillaume III et à son amant, la Palatine sait rendre hommage ; et sur le fond de la nature humaine, elle sait n'avoir guère illusions....

Seulement, cela, cousins, se lit entre les lignes.

A vous de reprendre et de parfaire une telle lecture.

Votre affectionné cousin de Béotie,

Jacques Fréville

Arcadie n°147, Jacques Fréville, mars 1966

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