Eros au potager, recueil d’encres sur papier de Robert Vigneau
Le potager de Robert Vigneau est plein de verges et de vierges. C'est un paradis de délices, bien loin de l'imaginaire végétarien de Rousseau : la vie des légumes est autrement exaltante que les pastorales ou l'île Saint-Pierre. C'est un carnaval, une sarabande, un tourbillon.
Une « révolution végétale » comme disait Grandville.
Les encres de Robert Vigneau m'ont incité à faire quelques recherches (il faudrait poursuivre) sur la « toile » à propos de la dimension érotique des légumes qu'il nous fait graphiquement découvrir. Qu'il soit remercié ici.
Curieusement, si dans la langue verte (et le code hétérosexuel), l'oignon a désigné le monde homosexuel masculin, l'ail a beau être viril, « manger de l'ail », c'est être ou paraître lesbienne. Pourquoi ? Par une allusion à la gousse et à une étymologie désobligeante : de gousser (manger comme un chien), sous le prétexte « l'homosexuelle est une mangeuse de sexe de sa partenaire ».
L'asperge a, depuis le milieu du XIXe, désigné le sexe des hommes en langage argotique. Et l'on doit à Auguste Le Breton, dans « Langue verte et noirs desseins », l'expression « aller aux asperges » qui signifie, pour les prostituées, aller à la recherche des clients. « Ne faites pas aller et venir une asperge dans votre bouche en regardant languissamment le jeune homme que vous voulez séduire » recommandait Pierre Louÿs dans son « Manuel de civilité pour les petites filles à l’usage des maisons d’éducation » (1926). Paracelse, alchimiste, et médecin, la recommandait pour affermir les virils appétits (« Traité des signatures »).
Si l'on parle du poireau comme d'un membre viril, c'est dit Rabelais par allusion flatteuse à sa queue verte (sens de grivois), droite et vigoureuse, alors même qu'il a la tête blanche : « Tu me reproches mon poil grisant, et ne considère point comme il est de la nature des porreaux, lesquels nous voyons la tête blanche et la queue verte, droite et vigoureuse » (Pantagruel). On peut « se chatouiller le poireau » (seul), « se dégourdir le poireau » (quand on a été privé depuis longtemps) ou encore « se faire souffler dans le poireau » (pratiquer la fellation, être l'objet d'une fellation) : expressions qui savaient ouvrir l'appétit…
Des deux frères Cucumis, il y a l'aîné (le concombre) et le cadet (le cornichon). L'empereur Tibère raffolait du Cucumis géant ; il s'en faisait cultiver toute l'année et ne se déplaçait jamais sans une provision. Ce qui est d'autant plus curieux que le concombre éteint les ardeurs sexuelles. Mais il est après tout d'autres usages, comme le dit Boris Vian dans la « Marche du concombre » : une jeune fille assez délurée, qui avait acheté un beau concombre « ben gros, ben long, ben vert » et qui s'en revenait du marché de Nevers, s'arrêta pour casser la croûte au pied d'un peuplier et, histoire de passer le temps, se le fourra dans les soutes, « Crénom c'que c'était bon ! »
L'aubergine est aussi appelée « vit de l'âne » (vié d'azé en provençal). La façon dont l'aubergine, satinée et gonflée, pend entre les feuilles, sa couleur violet sombre, la font effectivement ressembler au sexe déployé d'un âne entier.
Dans la langue verte, reconnaissons d'abord que la verge a plutôt sollicité les légumes, alors que le féminin relevait plus volontiers du fruité et du juteux : il y a une exception : la banane. Tout simplement parce qu'elle est d'introduction récente en Europe. Quand Joséphine Baker, en 1927, dans la Revue nègre, portait sur ses hanches douze bananes recourbées, tout en chantant : « Moi, j'aime les bananes parc'qu'y'a pas d'os dedans », on l'appela aussitôt la Vénus d'ébène. « Avoir la banane », c'est tout simplement bander et « éplucher la banane », tout ce qu'on veut…
■ Eros au potager, recueil d’encres sur papier de Robert Vigneau, Adana Venci, décembre 2013, ISBN : 978-2909984117
Du même auteur : Planches d'anatomie - Une vendange d'innocents - Ritournelles - Fariboles à l'école - Oraison
Lire aussi la chronique de Lionel Labosse sur son site altersexualite.com