Les incarnations d'Eddie Twyborn, Patrick White
Ce roman laisse une impression curieuse ; on se demande quel est le centre ou le sujet de ce livre avant de s'apercevoir que le roman est découpé en trois parties autonomes qu'un fil secret réunit : la notion d'identité.
Dans la première partie, une riche australienne énamourée d'un grec écrit des lettres à Eddie Twyborn depuis une terrasse de la French Riviera. On y apprend qu'elle n'aime pas trop les anglais ou du moins qu'elle n'est pas dupe sur le style colonial de l'Empire britannique à l'égard de ses ouailles australiennes.
Changement de décor et de personnages dans la seconde partie : on est en Australie, au milieu des moutons, d'un régisseur qui finit par s'envoyer, dans un tas de foin, Eddy Twyborn, fils d'un juge célèbre et qui est venu sur ce ranch pour se refaire une virilité : échec ? A peine avait-il séduit la femme de son employeur qu'on le surprend à se travestir dans les robes de cette maîtresse inopportune. Alors commence-t-on à comprendre qu'Eddie Twyborn, Eadith Twyborn, Eudoxia Twyborn sont une seule et même personne.
Lorsqu'on retrouve dans le troisième volet de ce roman Eadith dans une maison louche de Chelsea à Londres, le secret est consommé.
En un sens la force de ce roman est ailleurs que dans ce sujet dont on connaît les traits essentiels depuis Platon.
Patrick White ne cherche pas d'ailleurs à développer une théorie de l'androgynie classique. Il essaie plutôt de mettre en scène un personnage qui soit à la fois plusieurs personnages masculins et féminins. Et ce qu'on apprend, c'est l'inquiétante ambivalence des mœurs australiennes, le passage à la virilité obligée, le malaise existentiel des classes aisées qui ne voient dans l'Australie qu'un lieu de passage culturel, un avant-poste intéressant mais nullement le centre de leur culture qui, elle, est toujours en villégiature à Londres.
■ Gallimard/Du Monde Entier, 1983, ISBN : 207020653X