Je n'aime pas le mot « homosexuel » par Yves Navarre
La superbe réponse d'un romancier passé du militantisme à la désillusion cela s'entend : je n'ai eu que des rapports homosexuels et je ne les ai pas décidés. Je ne les ai pas non plus affichés, contrairement à ce que l'on a pu penser, à seule fin de m'étiqueter et de me tenir à l'écart parce que j'avançais à visage découvert. Je suis ce que je suis. J'ai toujours été ce que je deviens. Sur le « déjà-tard », je découvre ce que Barthes appelle « la quiétude insexuelle ». Si inquiétude il y a, elle est d'un autre ordre amoureux. Et je sais maintenant, dix ans plus tard, pourquoi j'ai mis en exergue de « Biographie » un de mes romans (pas mon autobiographie), cette phrase ô combien poétique (et politique) de Lacan : « Il n'y a pas de rapport sexuel. » Autrement dit, la sexualité ne constitue pas forcément et uniquement un rapport. Encore moins une annonce. Si je prends le temps de vous répondre, c'est que je demande le temps d'un certain entendement.
1°. Je n'aime pas le mot homosexuel. Combien de fois ai-je pu dire que ce mot, dans son emploi et son exploit médiatique, était « hérissé de fil de fer barbelé ». Je lui préfère, et ce n'est pas un jeu de mot, le mot de « homosensuel ». Sensualité : élan, pulsion, désir, paroles échangées.
2°. Je me suis fait injurier, il y a fort longtemps, parce que, publiquement, j'osais dire que mon identité d'homosexuel c'était le « droit à l'émotion ».
3°. Pis, j'ai essayé, tenté vainement de dire que je ne me battais pas pour le droit à la différence mais pour le « droit à l'indifférence ». Le sentiment entre deux êtres humains est indifférent.
Pourquoi ce préambule, ces considérations personnelles : parce qu'il y a dans votre question encore un tri et que je ne suis pas sans penser que celles et ceux qui vivent leur homosexualité dans l'interdit (c'est-à-dire celles et ceux qui ne figureront pas au fronton de votre reportage) ne sont pas sans la vivre, également, librement. Il y a la liberté de la honte (les honteuses, comme on dit) et la liberté d'un silence souvent commandé, décidé cette fois, pour des raisons finalement respectables, puisqu'elles engagent l'emploi, le statut social et aussi parfois la volonté de ne pas faire souffrir inutilement des parents. Est-ce trop dire ?
Je garde pour moi la liste des amants (connus, célèbres parfois) qui se cachent et je conçois encore une fois « sur le tard », comme une tendresse pour eux. A moins qu'ils ne deviennent méchants. Mais j'ai rencontré plus de fiel chez les militants homosexuels que dans l'armée du silence : ils sont légion à n'avoir pas su (ou pu) s'avouer l'inavouable. Et pourtant, dans le secret de certaines rencontres, ils furent de bien plus heureux amants. Je sais, et sens de ligne en ligne, qu'il y a disgrâce entre votre question et ma confuse réponse. Il y a autant d'hypocrisie chez ceux qui s'affichent ou annoncent la couleur que chez ceux qui se taisent et vivent néanmoins une liberté. J'écris ceci, maintenant, pour ceux-là.
Yves Navarre
in Magazine « Globe », n°36, avril 1989, page 47