Jean Cocteau et Max Jacob sous l'occupation
Fin février 1944, Cocteau reçoit un petit mot de Max Jacob écrit dans le train qui le conduit à sa prison :
« Nous serons à Drancy dans quelques heures. C'est tout ce que j'ai à dire. Sacha (Guitry) quand on lui a parlé de ma sœur a dit : "Si c'était lui, je pourrais quelque chose". Eh ! bien, c'est moi. »
Max Jacob a déjà vu une partie de sa famille périr en déportation. Son tour semble venu. Cocteau s'emploie aussitôt à essayer de le sauver. Guitry se dérobe et Picasso, que Jacob a beaucoup soutenu dans ses débuts, se borne à répondre : « Ce n'est pas la peine de faire quoi que ce soit. Max est un lutin. Il n'a pas besoin de nous pour s'envoler de sa prison. »
Cocteau continue de faire circuler une pétition en sa faveur, qu'il remet ensuite à l'ambassade d'Allemagne. Le texte en est magnifique de générosité et de courage :
« Avec Apollinaire, il a inventé une langue qui domine notre langue et exprime les profondeurs. Il a été le troubadour de cet extraordinaire tournoi où Picasso, Matisse, Braque, Derain, Chirico s'affrontent et opposent leurs armoiries bariolées. De longue date, il a renoncé au monde et se cache à l'ombre d'une église... La jeunesse française l'aime et le tutoie, le respecte et le regarde vivre comme un exemple. En ce qui me concerne, je salue sa noblesse, sa sagesse, sa grâce inimitable, son prestige secret, sa "musique de chambre" pour emprunter une parole de Nietzche. Ajouterai-je que Max Jacob est catholique depuis vingt ans. Les soussignés se permettent de signaler aux autorités compétentes le cas très spécial de Max Jacob. Il n'a guère de contact avec le monde que par l'amitié innombrable de jeunes poètes et de grandes figures des lettres françaises. Son âge et son attitude, si noble et si digne, nous obligent par le cœur et par l'esprit de tenter cette suprême démarche afin de le rendre libre (...) »
Jean Cocteau
Dix jours s'écoulent. Couché à même le sol avec quatre-autres détenus, Max commence à délirer. Il est mourant quand l'ambassade allemande donne satisfaction à ses défenseurs, ceci s'expliquant peut-être par cela.
Reste que peu d'hommes influents et considérés au « royaume d'Otto » montrèrent l'audace et la fidélité de cœur dont, en cet hiver 44, Cocteau sut faire preuve. Peu, vraiment.
Comment oublier que ce « Paris de rêve » où il avait aimé retourner en décembre de l'année 1940 était aussi un Paris de souffrances, d'atrocités et de mort ? Fréquenter les salons de l'hôtel Majestic n'empêche pas de ressentir l'autre vérité d'une occupation étrangère et surtout nazie.
Jean-Luc Barré
in Album Masques « Jean Cocteau » : article « Cocteau sous l'Occupation : Maudit et… protégé », 1983, pp. 96/97