L'été où papa est devenu gay, Endre Lund Eriksen
Arvid Ivar, douze ans, est heureux de passer ses vacances estivales au camping avec son père divorcé récemment. Dans ce qu'il nomme son « livre d'or », le jeune garçon aime écrire ce qu'il vit. Et ce qu'il découvre autour de lui ne manque pas – très rapidement – de l'interroger. Il y a d'abord Roger Berg qui vit avec sa fille, Indiane, non loin du camping. Cette dernière, du même âge qu'Arvid, lui apprend que Roger est homosexuel. Indiane est délurée et hardie : aucun sujet (sexualité, nudité, puberté, pornographie, etc.) ne lui fait peur, contrairement à Arvid.
Le jeune garçon découvre que son propre père s'amuse beaucoup avec Roger, cet homme costaud qui aime la bière et la rigolade. Il trouve que le comportement de son père, professeur de Lettres, n'est pas digne tant il ressemble à celui d'un ado qui tombe amoureux pour la première fois.
Indiane n'apprécie pas plus cette idylle naissante entre les deux pères car elle convoite Arvid et pense que si les deux hommes se marient, Arvid et elle-même deviendront frère et sœur, ce qui pourrait, croit-elle, compromettre une amourette avec son nouvel ami. Mais Arvid n'est ni réceptif ni sensible aux œillades de sa camarade. Il attend plutôt avec impatience l'arrivée de son copain Frank.
Arvid et Indiane décident de trouver une stratégie pour séparer les deux hommes. Mais la mission se révèle plus compliquée que prévue puisque les deux pères sont tellement heureux qu'ils ne se préoccupent pas des manœuvres de leurs enfants. Tous leurs plans échouent.
Arvid, qui est encore empli de préjugés sur l'homosexualité, se demande ce que les deux hommes peuvent bien faire ensemble quand ils sont seuls. Il imagine des choses dégoûtantes, renforcées par ce qu'il observe de la sexualité de son chien Waldo avec la chienne de Roger, Lady ; ce qui vaut des pages assez drôles.
Le lecteur se demande ce qui fait qu'Arvid est tant dérangé par le comportement de son père. Est-ce la peur de perdre son père, la peur du regard des autres par rapport à son père qui devient homosexuel, la peur de la puberté qu'il voit poindre chez Indiane et son ami Frank alors que lui ne ressent encore rien ? A moins qu'il ne s'agisse de la peur de cet autre qui est en lui-même et qu'il n'ose pas affronter… Car si grand bouleversement il y a, il est aussi chez Arvid, qui ressent bien qu'il n'est pas attiré par Indiane mais par Frank :
« C'était surtout Frank qui avait l'air de faire la conversation, et j'espérais en mon for intérieur qu'il n'était pas en train de raconter à Indiane une de ses blagues sur les pédés. Il marchait à grandes enjambées, bien droit, et gesticulait des bras tout en parlant ; le sac où il avait mis son maillot de bain venait régulièrement lui cogner le genou. Frank a des vraies jambes de footballeur, hyper musclées. Ça en impose. En plus, il a déjà du poil aux pattes, le veinard.
D'ailleurs, au niveau pilosité, il y avait aussi du nouveau ailleurs. Quand on est arrivés à la rivière, Indiane a emmené Lady le temps d'aller se changer dans la forêt. Frank s'est tourné vers moi et il a enlevé tee-shirt, short et caleçon dans le même mouvement. Ça m'a fait un choc : c'était carrément la jungle, par-là. Et le baobab avait bien grandi depuis la dernière fois. Je suis resté scotché. Uniquement parce que c'était bizarre, bien sûr. Waldo, à côté de moi, remuait la queue.
― Vous avez jamais vu un mec de votre vie ou quoi ? nous a demandé Frank en se redressant, les poings sur les hanches.
Je me suis dépêché de regarder ailleurs. Vers l'eau. J'ai simplement deviné, du coin de l'œil, qu'il enfilait son short de bain. En faisant claquer l'élastique.
Mon plan à moi, c'était d'aller me changer quelque part dans les buissons. J'ai tourné le dos à Frank et je me suis dirigé vers un bosquet, malheureusement trop déplumé pour me cacher intégralement.
― Oh, arrête ça ! a dit Frank. On va pas y passer la journée. Je t'ai déjà vu à poil avant. » (pp. 226-227)
Si l'histoire est sympathique (je pense qu'elle plaira au public adolescent), j'ai été déçu par les longueurs (les plans des deux ados pour séparer leurs pères occupent les 2/3 du livre) et par le regard excessif et surfait des jeunes sur les pratiques sexuelles supposées des deux hommes.
Heureusement, la mère d'Arvid a une présence intelligente : elle tente de trouver les mots pour lever les angoisses de son fils à propos de l'homosexualité de son ex-mari :
― C'est ta faute. Il est super bizarre depuis que tu l'as quitté.
― Pour ton information, nous étions d'accord tous les deux pour divorcer, elle a dit.
― Résultat, du jour au lendemain, il est devenu homo !
― Pas du jour au lendemain, a répondu maman.
― Qu'est-ce que tu veux dire par là ?
― Que ça fait longtemps que je le connais. Et que je le connais bien.
Ça m'a fait un choc.
― Il l'était déjà avant ?
― Je pense qu'au fond, nous sommes tous un peu comme ci, un peu comme ça.
― C'est à cause de ça que vous avez divorcé ?
― Non, nous avons divorcé parce nous trouvions que c'était mieux pour les deux parties. Petit à petit, nous nous étions trop éloignés l'un de l'autre. Mais je savais depuis longtemps que, si jamais nous nous séparions, ce n'était sûrement pas une autre femme qu'il essaierait de trouver après moi.
― Alors il n'y a aucun espoir ?
― Si, il y a de l'espoir ! Ton père est encore très attirant. Je suis sûre qu'il pourra se trouver un bel homme. Tu ne crois pas, chéri ? (p. 280)
Contrairement à Lionel Labosse, je n’aurais pas octroyé un Isidor à ce roman.
■ L'été où papa est devenu gay, Endre Lund Eriksen, traduction de Aude Pasquier, éditions Thierry Magnier, août 2014, 288 pages, ISBN 978-2364745179
Lire aussi la chronique de Lionel Labosse sur son site altersexualite.com