L'homosexualité dans les camps nazis par Aimé Spitz
Notre délégué d'Alsace, M. Aimé Spitz, qui a passé plus de trois ans dans les camps de concentration nazis, condamné à mort par le Tribunal militaire de Dijon en qualité d'officier des Services de Renseignements de la Résistance, nous révèle le calvaire des homosexuels dans ces camps.
M. Aimé Spitz, arrivé à Lyon, au Centre d'accueil du Palais de la Foire, comme premier évadé d'Alsace, a accueilli, en tant que secrétaire du Comité d'accueil, les homosexuels d'Alsace qui lui ont révélé leur sort.
C'est ainsi qu'il a pu apprendre par la suite que la Sûreté nationale française avait établi un « fichier des homosexuels » en Alsace, et qu'à l'arrivée des Allemands ces derniers en prirent possession. Ainsi tous nos frères homosexuels furent arrêtés et transférés dans un camp, soi-disant de rééducation, à Schirmeck, en Alsace. Ils y furent maltraités au possible et au bout de six semaines ils furent expulsés en zone dite libre. C'est ainsi que M. Spitz a pu les recevoir à Lyon en qualité de secrétaire du Comité d'accueil.
M. Spitz, au cours de sa déportation, a contacté plusieurs déportés, à l'insigne rose, signe distinctif des homosexuels.
Nous lui cédons la parole.
« Nous avions la chance que tous les déportés français portaient le triangle rouge, c'est-à-dire déporté politique. Cependant la réception au camp du Struthof fut écœurante. Accroupis sur le sol, le S.S. de service introduisit une règle dans l'anus de chaque déporté pour contrôler s'il n'avait rien caché dans son corps, puis, sans l'essuyer, l'introduisit dans la bouche du suivant pour voir si rien n'était caché sous la langue. Enfin le déporté recevait un habillement quelconque tout aussi grotesque.
Cela s'est passé au camp du Struthof en janvier 1944. Un camion des S.S. déchargea cinq jeunes hommes portant le triangle rose, donc homosexuel. Deux S.S. les réceptionnèrent à coups de pieds et de gifles et les insultèrent : Sales cochons ! Enculeurs ! Ils durent, sous les coups, se mettre au garde à vous, indiquer leur nom et le motif de leur arrestation : article 175. Ceci fait, ils furent giflés et un S.S., responsable de leur bloc, leur donna un violent coup de genou dans les testicules. De douleur ils s'effondrèrent. Des détenus voyant cela leurs crièrent : Levez-vous vite, il va vous tuer !
Une fois debout il commanda : Couchez-vous, levez-vous, ceci une série de fois.
Amené devant leur bloc d'accueil, ils durent se déshabiller, ranger leurs habits sur le neige qui recouvrait le sol et attendre nus sur le sol glacé balayé par un vent glacial. Arriva un S.S. avec un manteau d'hiver garni de fourrure. En passant il frappa dans le tas avec un nerf de bœuf disant : Pour que vous ne geliez pas, salauds pervers !
Dans le bloc 15 où ils furent admis, les déportés politiques cherchaient à leur donner du courage. Le lendemain ils furent répartis dans différents commandos. L'un d'eux, un jeune garçon de Düsseldorf, âgé de vingt-cinq ans, me raconta comment il fut arrêté. Il a été surpris dans un parc derrière une haie, faisant l'amour avec un soldat de la Wehrmacht. Il fut affecté au Lager-Kommando où je me trouvais. Il me prit en sympathie car je lui confiai également mes sentiments. Il me dit : si un jour nous sortons de cet enfer, je voudrais faire ma vie avec toi en France. Quelque temps plus tard, trouvant qu'il ne travaillait pas assez vite, un S.S., le sinistre Erhmantraut, jeta son chien sur lui, lui déchirant les mollets. Ne tenant plus debout, il resta étendu sur le sol glacé jusqu'à la rentrée au camp. Porté par des camarades à l'infirmerie il n'en sortit plus jamais. Il avait disparu par le crématoire.
Une autre fois, dans mon bloc, un déporté à triangle rose avait tenté des travaux d'approche, durant la nuit, auprès d'un triangle vert (droit commun). Celui-ci le repoussa et le dénonça au chef de bloc qui fit un rapport au S.S. responsable du bloc. Pendant son travail un S.S. vint le chercher et il ne revint plus jamais. Le chef de bloc nota sur sa feuille : départ par décès.
Il y avait aussi dans le camp une certaine mafia homosexuelle entre les déportés responsables et les plus anciens déportés, tous des condamnés pour droit commun (triangle vert). C'est ainsi que le kapo de la cuisine s'était attaché à son service deux jeunes Polonais de treize ou quatorze ans, qui recevaient des rations supplémentaires prélevées sur la nourriture des déportés du camp. Ces deux jeunes étaient gros et gras mais le soir dans la baraque ils étaient obligés de satisfaire leur maître.
Le kapo du dépôt de charbon s'était adjoint un jeune Belge. Le dimanche après-midi, assis sur les genoux du kapo ils s'embrassaient et faisaient des attouchements devant nous.
Alors que j'étais dans la baraque n°11, j'étais obligé, le soir après la distribution de soupe, d'apporter une gamelle de soupe à un jeune Polonais d'environ dix-huit ans qui était l'ami de notre chef de chambrée et qui se trouvait au bloc n°13.
Un jeune Alsacien de mon convoi, âgé de dix-neuf ans, était l'ami du chef de la section de naturalisation des animaux. Il recevait des suppléments de nourriture. Il fit la bêtise de plaire également au chef d'un bloc voisin qui lui donnait tous les dimanches un cigare. La jalousie s'en mêla et un jour il fut appelé à l'infirmerie et n'en sortit plus. Mort par embolie, fut-il dit ! Ainsi il fut liquidé par une piqûre mortelle.
L'homosexualité en cachette a existé dans tous les camps, seulement au risque et péril de ceux qui jouaient ce jeu ! » (1)
(1) Sur la vie au camp de Struthof, voir le livre de M. Aimé Spitz, Struthof : bagne nazi en Alsace (*) ; ce livre, préfacé par le Maréchal de Lattre de Tassigny, est malheureusement épuisé.
Arcadie n°258, Aimé Spitz, juin 1975
■ Les homophiles dans les camps de concentration de Hitler
(*) dans cet ouvrage, Aimé Spitz raconte, comme il le précise dans l'article de la revue Arcadie ci-dessus, qu'il portait le triangle rouge (prisonnier politique) (p. 7) ; il parle, plus loin dans son livre, de son éventuelle ( ?) homosexualité, d'une manière très allusive :
Il appela le premier d'entre nous. […] Enfin ce fut mon tour, j'étais le dernier.
— Ton nom ?
— Spitz, répondis-je.
— Ah, c'est toi qui est de Schlettstadt (Sélestat), je connais ton affaire ! Ça va, retourne à ta place !
Que signifiait cette scène ? Je ne l'ai jamais su ! (p. 35)