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L'inégalité, une histoire de famille par Marcela Iacub

Publié le par Jean-Yves Alt

Pour certains, l’homoparentalité est une folie ; pour les autres, c’est la moindre des choses. Les premiers mettent l’accent sur les troubles des enfants élevés dans un tel cadre à cause de leur inégalité avec ceux qui ont le sublime privilège d’avoir une mère et un père. A leurs yeux, on sacrifie l’égalité des enfants sur l’autel de celle des couples. Pour les seconds, l’égalité des couples semble primordiale, alors qu’à leurs yeux rien ne prouve que les enfants élevés par deux hommes ou par deux femmes auraient des troubles particuliers.

Dommage que cette polémique à propos de l’égalité des enfants ne soit pas prise au sérieux. C’est triste, et quelque peu mesquin aussi, qu’on la rabaisse à un détail si peu important au fond : celui d’avoir un père et une mère ou des parents du même sexe. En effet, s’il y a quelque chose qui va à l’encontre de l’égalité des enfants, et donc des citoyens, c’est la structure de nos familles actuelles. A cause de la famille dans laquelle on est né et élevé, certains sont riches, d’autres pauvres. Certains sont cultivés, d’autres illettrés. Certains ont la chance d’être aimés, d’autres la malchance d’être maltraités. Certains ont confiance en eux, d’autres sont complexés. Certains sont élevés dans la liberté, d’autres dans l’esclavage de l’autorité, de la religion ou d’une idéologie criminelle. L’institution familiale d’aujourd’hui transforme les enfants en des sortes d’appendices de leurs parents ; elle ne les prend pas comme des individus à part entière.

Certes, l’on contrôle certaines bavures, certains excès. On ne peut pas battre à mort un enfant, on ne peut pas le violer, on ne peut pas le laisser sans nourriture ni toit. On ne peut pas ne pas le scolariser. Mais, hormis ces exceptions minimales, l’on confie les yeux fermés les enfants à leurs parents avec la cohorte des inégalités flagrantes que cela implique. Comme si la rationalité qui anime les politiques familiales actuelles était plus la reproduction des parents que la production des citoyens libres et égaux. On dit que la fonction de l’école est d’apporter des correctifs à ces inégalités d’origine. Pourtant, les statistiques révèlent le poids de la famille dans le destin de chacun en termes de richesse, d’emploi, de diplômes, de culture. Les statistiques ne montrent pas, hélas, d’autres lourdeurs de la famille, comme les carences émotionnelles, les névroses, la folie des enfants.

Pour rendre ces injustices naturelles, apolitiques, toutes les personnes sont traitées comme si elles avaient été élevées par la même famille. L’on dit que nous avons des mérites que la société récompense ou que nous sommes fautifs et que la société nous punit.

Pourtant, il ne serait pas nécessaire d’accomplir une révolution politique d’une grande ampleur pour changer cet état de choses, pour faire en sorte que le poids des familles soit moins lourd pour chaque individu. Il conviendrait, d’une certaine manière, de prendre les prémices du capitalisme plus au sérieux qu’on ne les prend aujourd’hui. Non pas que ce moyen nous rende égaux, bien au contraire. Mais tout au moins, nos inégalités pourraient être davantage attribuées à nous-mêmes qu’à notre milieu familial.

Pour ce faire, il faudrait désenclaver les familles. Donner à chaque enfant non pas deux, mais une douzaine de parents : deux d’origine et les autres tirés au sort dans des couches différentes de la société. Que tous ces adultes puissent veiller sur lui et lui fournir des repères. A l’enfant, ensuite et s’il le souhaite, de choisir avec lequel d’entre eux il veut entretenir des relations privilégiées. Cela soulagerait non seulement les enfants mais aussi les parents d’origine qui n’aiment pas certains de leurs enfants ou qui se sentent trop coupables de ne pas être à la hauteur de leur rôle. Mais ceci permettrait aussi à des adultes en mal d’enfant ou qui ne s’entendent pas bien avec les leurs d’en avoir d’autres et de faire des expériences parentales plus réussies.

Il faudrait aussi déverrouiller l’habitat de sorte que les familles ne soumettent pas l’enfant à cet enfermement, à ce secret dont nombre d’entre eux pâtissent aujourd’hui. L’héritage devrait être soumis à de nouvelles règles. Etablir, par exemple, qu’au-delà d’un certain patrimoine, on ne pourrait transmettre qu’un pourcentage minimal à ses propres enfants. Ceci serait moins choquant qu’il ne peut le paraître aujourd’hui, car les riches le seront plus pour leur mérite personnel que par l’héritage qu’ils auraient reçu.

Ceux qui sont pour ou contre l’homoparentalité trouveraient une telle réforme si affreuse qu’ils seraient prêts à renoncer à leurs revendications respectives pour qu’elle n’advienne pas. Car, malheureusement, aucun d’entre eux ne prend au sérieux le droit des enfants à être élevés dans la justice et dans la fête toujours révolutionnaire de l’égalité

Libération, Marcela Iacub, samedi 24 novembre 2012

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