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La maison de granit, François de Bressault (1953)

Publié le par Jean-Yves

En 1867, à Granville, une massive demeure de granit symbolise la puissance de l'armateur François d'Haqueville. Mais cette façade imposante cache l'implacable certitude d'un déclin annoncé. L'armateur ne peut plus, en effet, s'appuyer sur le père de son épouse, banquier ruiné après la Révolution de 1848. Et, l'évolution de la situation économique est venue ruiner ses espoirs : le nouveau gouvernement a choisi de développer le port du Havre au détriment de celui de la vieille cité maritime.

 

Au moment où commence le livre, François d'Haqueville compte sur ses deux fils, Charles et Henri, ainsi que sur son frère cadet, Hippolyte, pour mettre un terme à ce déclin. Charles pourrait épouser Eléonore de l'Assardière dont le père est un riche commandant de vaisseau tandis qu'Henri – s'il abandonne l'idée d'entrer dans les Ordres – pourrait se marier avec Corinne Sartilly dont l'oncle est un puissant armateur au Havre. Ce qui donne quelques lignes cocasses :

 

« Henri interrompit la rêverie de son frère en demandant :

— Je t'ai vu parler au Supérieur. Qu'a-t-il dit de moi ?

— Que tu devrais, selon lui, devenir prêtre, que tout t'y destine. Je pense que ce n'est pas ton avis ? acheva Charles d'un ton ironique. Mais Henri se contenta de sourire gravement.

— Pourquoi pas ? Cela t'étonnerait, et mon père encore plus. Et moi aussi, au fond. Mais il ne faut jurer de rien. Je suis capable... de tout, même de très bonnes choses. Quant à savoir si j'ai la vocation, cela est une autre histoire. Il paraît que nous l'avons tous mais que seuls y répondent les plus dignes. (Père Supérieur dixit.) Moi j'aime trop la terre, sa beauté...

— Et celle de ses filles, interrompit Charles.

— Ou de ses fils... Il est des jours où je me sens plus païen que chrétien. On nous enseigne trop les beautés de la Grèce et de Rome pour ne point nous en laisser une invincible nostalgie et le regret du temps d'Apollon et de Vénus où les enfants qui jouaient dans les ruelles d'Athènes avaient le profil si pur qu'immortalisent les frises du Parthénon. Souvent j'ai rêvé être un garçon brun jouant presque nu sur les plages de Sicile, sentir sous mes pieds la chaleur rugueuse du sable et sur ma peau la brûlante caresse du soleil, courir, nager, vivre enfin ! être libre d'avoir un corps et à le savoir, de l'aimer aussi. » (pp. 15/16)

 

En attendant les festivités, François d'Haqueville compte sur son frère cadet pour commander une flotte de pêche de Terre Neuvas : le succès de l'expédition pourrait renflouer les caisses de l'entreprise.

 

Mais c'est sans compter, Achille Vinay, le secrétaire particulier de François d'Haqueville : ange du mal, traître, escroc et amoraliste qui n'hésite pas à vendre les informations qu'il connaît à un armateur concurrent et puissant.

 

Si les fils songent surtout à leurs amours – Eléonore pour Charles ; Basile (et non pas Corinne) pour Henri – Hippolyte, le frère tant aimé, trahit quand il apprend les liens qui existent entre Henri et son fils adultérin, Basile.

 

« La maison de granit » raconte l'enchaînement complexe de faits – amour d'Henri pour le jeune Basile, duplicité machiavélique de la mère de ce dernier – qui conduit à la trahison finale qui pour François d'Haqueville restera inexplicable :

 


«
[…] Peut-être eût-il mieux valu que ce soir-là je ne me fusse point attardée dans le parc du Moulin à admirer la lune se refléter mélancoliquement dans les eaux immobiles de l'étang. Le salon était illuminé. Par les fenêtres ouvertes je voyais Henri assis dans un fauteuil et mon fils aller et venir dans la pièce. Bientôt ils furent l'un près de l'autre et je vis votre neveu embrasser votre fils, brutalement, presque sauvagement... J'en demeurai comme étourdie, comprenant enfin ce que mon amitié pour votre famille m'avait jusqu'alors empêchée de voir. La cloche du souper sonna. Par souci – encore – de l'honneur de votre nom, Hippolyte, je ne voulus rien dire et j'assistai, me forçant d'être gaie comme à l'ordinaire, à un dîner où se livrait la joie instinctive, animale, d'un enfant que nous avons beaucoup aimé, que nous avons voulu rendre heureux et qui, désormais, connaît d'autres plaisirs... où brillait aussi dans les yeux d'Henri une ardente flamme de désir et d'orgueil : ce petit garçon-là, si beau, lui appartenait, désormais, plus qu'à nous. » (Lettre d'Adélaïde, mère de Basile, à Hippolyte, père adultérin de l'adolescent – pp. 208/209)

 

Ce roman rappelle que les chemins de la vie n'ont de direction que terminés, que c'est en les aplanissant qu'on rend droits les chemins tortueux, ou, du moins, qu'on leur donne un sens. Et l'on ne nivelle pas sans travail, sans sacrifices aussi. Mais que doit-on sacrifier ? Le rêve ou l'immédiate réalité, le succès de l'instant ou celui de l'avenir, la situation ou la vie ?

 

■ Éditions Gallimard, septembre 1953, 256 pages, ISBN : 2070209989

 

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