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La soi-disant pédérastie du Réformateur Jean Calvin par H.-J. Schouten

Publié le par Jean-Yves Alt

Le texte qui suit est la traduction française d'une étude parue en allemand en 1905, sous le titre « Die vermeintliche Päderastie des Reformateurs Jean Calvin », dans la 6e livraison du Jahrbuch für sexuelle Zwischenstufen, dont le directeur était Magnus Hirschfeld. Nous avons pensé que le Jahrbuch étant aujourd'hui introuvable en librairie et peu accessible (deux exemplaires publics seulement en France, l'un à la Bibliothèque nationale, l'autre à la Bibliothèque universitaire à Strasbourg), nos lecteurs seraient intéressés de trouver de temps à autre, dans les pages d'Arcadie, des traductions des plus importants articles de cette ancienne, mais importante publication allemande. N.D.L.R.

Des grands réformateurs de l'Eglise, Théodore de Bèze (1) n'est pas le seul qu'on ait inculpé d'homosexualité et particulièrement de « pédication » (2) ; on l'a reproché également à Jean Calvin.

Alors que pour Théodore de Bèze, certains faits laissent supposer que, dans une certaine époque de sa vie, c'est-à-dire dans sa prime jeunesse, il s'était senti homosexuel et peut-être qu'il s'était livré à certaines pratiques de cet ordre, il n'existe pas la moindre raison pour une telle supposition à l'égard de Calvin.

Les inculpations et reproches prononcés contre le Réformateur genevois ne sont que des diffamations méchantes ; il est même bien établi qu'il éprouvait des sentiments hautement « platoniques».

Ces incriminations sont d'ailleurs particulièrement infâmes, en ce qu'elles ne se sont jamais manifestées de son temps, alors que Calvin aurait eu la possibilité de prendre lui-même sa propre défense.

Ce n'est qu'après sa mort que se répandirent les racontars insinuant que Calvin aurait pratiqué la pédication et en aurait été marqué au fer rouge.

On comprend aisément que cette accusation n'ait cessé d'attirer l'attention du monde. C'est ainsi qu'un certain M. Paul Masson demanda, plein d'indignation, en 1891, dans « L'intermédiaire des chercheurs et des curieux », si l'inculpation pour vice contre nature lancée par Mgr de Ségur contre Calvin dans un ouvrage plusieurs fois réimprimé est bien fondée sur la vérité.

Le pasteur Dardier, de Nîmes, livra une réfutation détaillée de cette inculpation en se servant de l'excellent ouvrage intitulé « La jeunesse de Calvin », dont l'auteur était son collègue A. Lefranc. Ces études étant assez inconnues en Hollande, j'entrepris de traduire la réponse pour De Navorscher (mai 1891) sous le titre Calvijns vermeende Onzedelijkheid, en la complétant de renseignements sur les pamphlets hollandais, etc. Depuis il a été fréquemment fait mention de mon ouvrage dans des articles polémiques et le professeur A. Zahn le signala également dans ses « Studien über Calvin ». Après avoir fait la connaissance du « Jahrbuch für sexuelle Zwischenstufen », j'aimerais exprimer, en réétudiant cette question, ma reconnaissance au Comité humanitaire et scientifique pour son activité bénéfique.

L'ouvrage de Mgr de Ségur, dont j'ai la 12e édition sous les yeux, s'intitule « Causeries sur le protestantisme d'aujourd'hui ». Cette édition a paru en 1861 chez J.B. Pélagand à Paris, et comprend 239 pages petit in-8°. En page 79, titre II, on lit : « Est-il possible que Dieu ait choisi Luther et Calvin pour réformer la religion ? » Il répond ensuite en ce qui concerne Calvin : « Calvin, ecclésiastique aussi, a été convaincu de mœurs infâmes contre nature et, comme tel, marqué par le bourreau. » L'auteur commente cette affirmation dans une annotation : « Ce fait semble acquis à l'histoire. Un auteur catholique ayant reproché aux calvinistes ces honteux stigmates de leur patriarche, le calviniste Whitacker eut l'effronterie sacrilège de répondre : si Calvin a été stigmatisé, saint Paul et bien d'autres l'ont été de même. »

Pour caractériser les agissements calomnieux des ennemis de Calvin, il faut tenir compte des points suivants :

1° Mgr de Ségur établit comme fait historique : Calvin s'est livré aux voluptés contre nature (pédication) et en a été stigmatisé ;

2° Il écrit : Ce fait semble acquis à l'histoire (ce qui est bien surprenant pour un historien !) ;

3° A titre de confirmation il ajoute la preuve indirecte un auteur catholique (anonyme) aurait reproché (où cela ?) cette affaire aux calvinistes, à quoi le calviniste Whitacker aurait riposté (quand et où ?) par la réponse effrontée citée. Si, par contre, la faute de Calvin n'eût pas été notoire, Whitacker aurait bien répondu de façon toute différente.

Alors...

Il est évident que de telles « preuves » peuvent bien impressionner des lecteurs catholiques et protestants qui ne réfléchissent pas. Il est donc naturel que le libelle de Ségur ait provoqué une vive indignation auprès des protestants français.

Comment alors ces renseignements « historiques » sont-ils venus sous la plume de Mgr de Ségur ? Il les a simplement cueillis auprès d'autres personnes ; par son annotation il ne cherche qu'à donner l'illusion d'avoir vérifié lui-même leur exactitude.

Le véritable auteur de cette calomnie est Jérôme Hermès Bolsec, apostat du protestantisme et créature de l'archevêque de Lyon. Il rédigea une biographie de Calvin, treize ans après la mort de celui-ci. Le chapitre V en est intitulé : « Comme Calvin est flestry et marqué d'un fer chaud sur l'espaule à Noyon. » On y lit : « Je puis dire cecy pour avoir veu la dite attestation ès mains dudit Bertelier, qui avoit été expressément envoyé pour avoir information de la vie et mœurs et de la jeunesse dudit Calvin, et en ladite attestation estoit contenu que le dit Calvin, pourveu d'une cure et d'une chapelle fust surpris ou convaincu du péché de sodomie, pour lequel il fust à danger de mort par feu, comment est la commune forme de tel péché ; mais que l'évesque de la dite ville, par compassion, feit modérer la dite peine en une marque de fleur de lys chaude sur l'espaule. »

Qu'est-ce qui a amené Bolsec à tout cela ?

On sait que les caractères bas se débrouillent le plus souvent en lançant des suspicions de toute sorte sur leurs adversaires. On savait que Calvin avait été incarcéré à vingt-cinq ans dans la prison capitulaire de Noyon. Si Bolsec s'était soucié de la vérité, il aurait facilement pu en déceler la cause véritable, ce qui aurait certainement dû être son devoir. Il est vraiment diabolique de déshonorer quelqu'un, ce qu'on fait sans doute en accusant un hétérosexuel de pédication. Car bien que celle-ci soit aussi fréquemment, sinon davantage, pratiquée, paraît-il, par les hétérosexuels (notamment avec leur propre épouse) que par les homosexuels, elle est pourtant à coup sûr, pour l'hétérosexuel, une chose contre nature et considérée par le public comme un signe de dégénérescence grave aussi bien de l'homosexuel que de l'hétérosexuel, et comme un péché grave par les croyants orthodoxes. En recherchant plus profondément, Bolsec aurait trouvé les faits suivants :

1° Le Réformateur qui, à l'époque, eût dû faire ses remerciements pour sa prébende, ayant refusé son ordination, fut arrêté, le 26 mai 1534, pour tumulte fait dans l'église (3). Le registre capitulaire en constate : M. Calvin est mis en prison à la porte Corbaut pour tumulte fait dans l'église la veille de la Sainte-Trinité. Ce que les chanoines capitulaires auraient pu communiquer à Bolsec soit verbalement soit par écrit. En vérifiant les registres il aurait dû trouver lui-même ce passage repéré et publié pour la première fois par le pasteur Lefranc cité plus haut ;

2° En l'année 1550, donc vingt ans environ après le départ de Calvin de Noyon, un chapelain homonyme du réformateur y a été destitué pour « incontenance » réitérée. La nature de cette « incontenance » n'est pas précisée ;

3° En 1553, un autre ecclésiastique, qui cependant n'avait pas encore été ordonné, un nommé Baldouin Le Jeune, fut fustigé pour fornication.

Il n'y a donc, d'une part, aucune accusation pour pédication, ni contre l'homonyme de Jean Calvin, ni contre Le Jeune ; il est vrai toutefois, d'autre part, que le dit Le Jeune a été fustigé mais non ce Calvin ; il n'est d'ailleurs nullement question d'une stigmatisation.

L'un des premiers défenseurs de Calvin, un certain Desmay, professeur à la Sorbonne et vicaire-général de Rouen, y publia en 1621 ses « Remarques considérables sur la vie et les mœurs de Jean Calvin, hérésiarque ». Il affirmait expressément avoir parcouru les registres capitulaires, mais il se contentait apparemment en principe des renseignements reçus verbalement des chanoines. Car son affirmation que l'homonyme de Jean Calvin avait été fustigé est bien erronée ; de plus il parle d'une feuille blanche dans le registre dont certains des chanoines les plus âgés lui avaient parlé : « J'ai bien ouy dire à aucuns chanoines des plus anciencs, qu'ils ont veu autrefois un feuillet blanc dans les registres, où en teste y avoit escrit : "Condemnatio Johannis Calvini" et n'y avoit rien escrit davantage en toute la page, ainsi demourait en blanc ; cela a donné à deviner à beaucoup ce que ce pouvoit estre. » II est surprenant que ni lui ni ses collaborateurs, les chanoines, n'eurent jamais l'idée de vérifier l'existence de cette feuille. Desmay ne parle pas non plus d'une suppression de cette feuille dans le registre. Le Vasseur qui, après lui, écrivit au sujet de Calvin et qui a minutieusement examiné les registres, ne fait pas mention de cette feuille blanche, bien qu'il ait certainement lu l'ouvrage de Desmay puisqu'il réfute l'exposé de celui-ci sur l'homonyme de Calvin. En effet, Desmay se trompe complètement à l'égard de ce dernier, comme il est mentionné plus haut ; et il semble également en résulter qu'il se contenta principalement des renseignements verbaux des vieux chanoines auxquels il fit entière confiance, mais dont la mémoire était douteuse. Il écrit : « Il y a encor une autre Sentense de condemnation, contre un Chapelain Vicaire que portoit le mesme nom Jean Calvin : mais c'estoit long temps après que Jean Calvin Hérésiarque eust quitté ses benefices, fut sorti de la ville et du pays et eust abandonné la foy de Jésus-Christ. Car cette sentence se trouve enregistrée et datée de l'an 1550 et prononcée contre Jean Calvin Vicaire, pour avoir retenu en sa maison une femme de mauvais gouvernement. Et fut condamné ledit Calvin à entre fustigé de verges sous la custode. — Quand à l'Hérésiarque il estoit alors à Genève en la plus grande flame de ses ferveurs, et n'ay sceu trouver autre chose dans les dits registres que les plaintes et reproches cy-dessus, c'est pourquoy je n'en diray rien tout expres, n'ayant entrepris d'escrire que ce que j'ay appris sur les lieux de sa nativité et conversation première. »

Que la feuille blanche ait existé ou non, Bolsec la décrivit d'après son imagination. Etant à la solde de l'évêque de Lyon, il ne se souciait que d'éclabousser de boue le patriarche de ses anciens coréligionnaires. Il écrit donc qu'un certain Bertelier aurait été envoyé à Noyon par le Consistoire de Genève pour s'enquérir sur la vie de Calvin et il lui aurait fait voir le document en question.

Or nous savons, par les recherches que le pasteur réformé Charles Drelincourt a effectuées sur ce sujet en 1667 ou même avant, que cette affirmation est pure invention. Drelincourt trouva un excellent motif de se charger de la défense du réformateur. En effet, le libelle de Bolsec fut non seulement traduit en latin par l'Écossais Laingey, docteur à la Sorbonne, mais Richelieu lui-même n'avait trouvé meilleur moyen pour reconvertir les Huguenots que de leur reprocher les prétendues fautes du réformateur. Il publia donc un Traitté qui contient la méthode la plus facile et la plus asseurée pour convertir ceux qui se sont séparez de l'Eglise. Ce pamphlet étant toujours en circulation du temps de Drelincourt, celui-ci rédigea La Défense de Calvin contre l'outrage fait à sa mémoire dans ce Livre qui a pour titre : Traitté qui contient... (Genève 1667). Il nous y affirme que les archives de la paroisse protestante de Genève ne contiennent aucun document ni sur la prétendue mission de Bertelier, ni sur une enquête en ce qui concerne la vie de Calvin.

Force nous est donc d'accuser Bolsec de falsification intentionnelle, et délibérée. Le stigmate dont il voulait marquer l'épaule de Calvin, il se trouve empreint sur le front de l'accusateur ! Comme il est fait allusion plus haut, le chanoine Le Vasseur a réexaminé l'affaire à la suite de Desmay, et il ne s'est pas contenté, lui, des indications verbales des capitulaires, desquelles il n'aurait tiré que des demi-vérités. En 1633 partirent à Paris les Annales de l'Eglise cathédrale de Noyon, par Jacques Le Vasseur, docteur en Théologie, Doyen et chanoine de la dite Eglise (4).

Dans cet ouvrage, aux passages traitant l'homonyme de Jean Calvin, Le Vasseur récuse avec véhémence les inculpations faites contre le réformateur. Il y écrit : « D'un autre Jean Cauvin Chappellain Vicaire de la mesme Eglise de Noyon, non hérétique. Chapitre XCVI. Après que Jean Cauvin eust fait banqueroute à l'Eglise, et à la ville sa patrie, pour en rafraischir ou entretenir la mémoire, au bout de dix-huit à vingt ans un autre mesme l'inrage pour les moeurs, mais non surpris de l'inrage d'hérésie, se présenta et fut receu en notre chœur à une Chapelle Vicariale, où il ne tarda gueres, ayant peu de temps après esté congédié pour son incontinence, apres quelques punitions dont il ne tint conte, comme il se voit par les conclusions du 23e iour de Decembre et du second de Janvier 1552. Voyant donc son endurcissement au mal qui luy faisoit negliger toute remonstrance, il fust en fin privé de la Chapelle, et du chœur, s'estant rendu insensible à la privation de ses gages. De là il fut vicarier par les dioceses, et la croyance de nos anciens est qu'il deceda en la Cure de Trachy le Val, en ce diocese, qu'il deservit en qualité de Vicaire, et mourut bon Catholique : Grave que Dieu luy fit pour n'avoir jamais tourné sa casaque, ny changé de Beligion ; à quoy sa vie libertine, et l'exemple de Cauvin l'heresiarque son correspondant en l'un et l'autre nom, sembloient luy donner pente, connue à plusieurs autres de la France qui se sont perdus dans un commun naufrage. Il ne fust neantmoins battu de verges sous la custode, comme l'escrit Monsieur Desmay en son petit livret, pages 39 et 40. Aussi estoit-il Prestre, et non sujet à telle discipline. Il s'est donc équivoqué cestuy-cy pour un autre Vicaire aussi Chappellain, nommé Balduin le Jeune, doublement jeune, de nom et de mœurs, non encore advancé à la Prestrise ny à aucun Ordre sacré. En voicy la Conclusion Capitulaire. Capitulo facto die Veneris undecimo Auguste 1553. A. Belle-mont Proinotor Capitule remonstravit ex officio, quod Balduinus le Jeune Cappellanus Vicariales, a duobus mensibus nullam aut parvam residentiam in Ecclesia, scandalose vivendo cum quibusdam mulieribus suspectis, etc. Quare pro defectibus, et absentiis a Divino servitio, eum Domini condemnarunt, iuxta conclusiones dicte Promotoris, ad assistendum per unum mensem integrum omnibus borin seruitii Divine ; et pro scandalis commissis ordinarunt praefati Domini ipsum caedi virgis, quia puer, et nondum in sacres constitutus, per magistrum puerorum in subthesauraria, praesentibus dictes pueras pro exemplo. J'ai creu devoir adjouster ce chapitre à l'histoire du premier Cauvin, ad diluendam homonymiam, crainte qu'on ne prenne l'un pour l'autre, le Catholique au lieu de l'hérétique. »

Plus énergiquement encore Le Vasseur prend la défense du Réformateur dans le chapitre suivant. Il y relate que parmi les personnes qui se sauvèrent avec Calvin de Noyon se trouva aussi le Lieutenant-Civil, personnage dont le pouvoir était plus important encore que celui d'un maire. Il observe à ce sujet : « D'icy jugez s'il oust eu la fleur de lis à Noyon, si un Lieutenant de Roy l'eust suivi : il se nommoit Normandie. » Certes, ce n'est pas une preuve absolue ; Bolsec n'eût certainement pas craint de souiller cet homme aussi. Nous entendons toutefois par là que Le Vasseur aussi bien que Desmay étaient bien persuadés de l'intégrité morale de Calvin, qu'ils haïssaient par ailleurs en tant qu'hérésiarque, ou au moins de ce qu'il n'avait pas pratiqué la pédication.

Par ailleurs, je tiens à signaler un fait auquel ni le pasteur Lefranc précité, ni le Professeur E. Doumergue dans son excellent ouvrage sur Calvin, n'ont fait allusion.

Si Calvin avait été vraiment condamné, un de ses amis ou parents auraient certainement pensé à la Taxa Cameras Apostolicae et son père qui était riche en aurait certainement payé l'amende. Cette nomenclature pénitentiaire (5), arrêtée par Jean XXII et publiée par Léon X (« In Campo Florae MDXIII, die XVII Novembris »), dont on pouvait racheter toutes les pénalités canoniques, comporte d'après l'édition de Julien de Saint-Acheul (Paris, 1820), sous le « Capet XXX, de lapsis Carnis » (se rapportant aux péchés charnels du clergé), le passage suivant : « 3° Si vero petatur tantum absolutio a crimine contra naturam, vol cum brutis, cum dispensatione et com inhibitions, tur(enses) 36, duc(ati) 9 » (6). Il est vrai que la Taxa ne circulait que rarement sous forme imprimée à cette époque, mais on n'est pas en droit de supposer que Calvin lui-même ni quelconque de ses amis l'eût ignorée.

A une époque ultérieure à sa prétendue condamnation, Calvin fréquentait les grandes écoles d'Orléans où il passa son doctorat, de Bourges et de Paris, et partout il était estimé et jouissait d'une bonne réputation. Dans la préface célèbre de son Institutio, il dit, à l'intention du Roi de France, que sa vie avait toujours été si pure qu'elle aurait pu servir d'exemple à ses ennemis. Aurait-il eu l'audace de s'en vanter dans un livre qui était lu à Noyon autant par ses amis que par ses ennemis, et encore dans une lettre ouverte adressée au roi, si le Chapitre de Noyon avait pu le mettre au pilori comme pédiqueur et stigmatisé ?

Certains de ses adversaires religieux témoignent de l'intégrité morale de Calvin. A part Desmay et Le Vasseur qui le détestaient en tant qu'hérésiarque, il faut citer d'abord Florinand de Raemond, né en 1540, membre du Parlement de Bordeaux. D'abord, après avoir écouté Théodore de Bèze à Paris, il tendit pendant une certaine période vers le protestantisme ; il se voua ensuite avec d'autant plus de zèle au catholicisme. Dans son ouvrage intitulé La naissance, progrez et décadence de l'hérésie de ce siècle (Paris 1605), publié par son fils, il fait l'éloge de la pureté des mœurs de Calvin. Ensuite il y a Papire Masson, né en 1544, grand-vicaire de Lyon. Ce n'est qu'après sa mort que ses Papirii Massonis Elogiorum pars I et pars II ont été compilées et publiées en 1638 par Guy Patin. Le dernier volume de cette œuvre comporte un éloge véritable de Calvin. L'authenticité de ce passage a été mise en cause à plusieurs occasions ; cependant les Lettres Choisies de Guy Patin publiées après la mort de celui-ci confirment leur authenticité, puisque Guy Patin écrit à ce sujet (tome II, 29, lettre) que le frère de Masson, chanoine, lui avait remis cette pièce en 1619 et qu'il avait éprouvé grande peine à persuader l'éditeur à l'incorporer dans l'ouvrage, les Jésuites le lui ayant interdit. L'éditeur avait cédé enfin à son insistance lorsque Guy Patin avait réussi à la convaincre que l'ensemble du livre en gagnait en valeur. Citons enfin André Rivet, théologien romain, qui récuse spécialement l'inculpation de pédication formulée contre Calvin, dans son Catholicus orthodoxes (Genève) et davantage dans la suite de cet opuscule intitulé Jesuitus vapulans, sine castigatio notarum Sylvestre Pedrasanctae Loyolae sectarii. Il y démontre que le témoignage des Jésuites Brigerus, Stapleton, Campianus, Duraeus, Surins, Riginaldus et Lessius est absolument dénué de valeur, du fait qu'ils ont tous recopié Bolsec sans esprit critique. Lessius ne craint même pas d'avancer que les registres capitulaires de Noyon, ville toujours hostile à la Réforme, auraient été remplacés pour supprimer toute trace du crime ! Rivet pose également la question, pourquoi l'on n'avait pas reproché au Réformateur un tel crime de son vivant, vu que lui-même avait inlassablement dépeint la dissolution des mœurs du clergé. Sa réponse : parce que tout le monde était convaincu de sa pureté !

Nous ne parlerons pas ici des auteurs catholiques ultérieurs qui ont écrit des textes favorables à Calvin.

Papire Masson, disciple et ami d'un des premiers calomniateurs de Calvin, l'apostat François Baldwin relate, au sujet de ce dernier, qu'il avait ramassé tout ce qu'il pouvait trouver de préjudiciable sur Calvin, sans toutefois parler du fait de pédication. Papire Masson continue : « Ce sont des Ecrivains du commun et de nulle estime, qui ont objecté à Calvin de sales voluptés et des adultères. Et toute fois il ne semble pas que personne ayt haï les adultères d'une plus grande haine que luy. »

Il faut donc considérer comme « Ecrivains du commun et de nulle estime » aussi des auteurs qui calomnient à bon escient tels qu'un Bolsec, puisque la pureté de Calvin est au-dessus du moindre doute.

Les ennemis de Calvin ont reconnu aussi leur impuissance morale par ce qu'ils ont supprimé et détruit autant que possible les deux ouvrages dans lesquels il est fait preuve quasi documentaire de l'intégrité du réformateur. Ce n'est qu'à grande peine que le professeur Doumergue réussit à trouver un exemplaire de l'ouvrage de Desmay et de celui de Le Vasseur. A part cela, il ne trouva que des exemplaires châtrés d'une réédition des Remarques Considérables de Desmay dont les 30 premières pages faisaient défaut.

Par ailleurs l'utilisation d'expédients tels que la mission de Bertelier, complètement inventée par Bolsec, ainsi que la réfection des registres capitulaires supposée par Lessius, ne font que prouver le caractère insoutenable des incriminations dressées contre Calvin. Nous nous croyons donc bien placés pour affirmer que l'accusation contre Calvin d'avoir pratiqué la pédication n'est qu'une calomnie méchante et délibérée, émanant de ses adversaires confessionnels.

H.-J. SCHOUTEN

(1) Théodore de Bèze, l'un des réformateurs protestants du XVIe siècle, qui fut souvent accusé de pédérastie.

(2) Coït anal.

(3) Il fut remis en liberté le 3 juin. Arrêté de nouveau le 5 juin, la durée du second emprisonnement n'est pas indiquée.

(4) Quelques exemplaires, également datés de 1633, portent un titre plus long.

(5) Renseignements explicites sur l'authenticité de cette Taxa et notes bibliographiques dans H. Chr. Lea, The Taxes of the Papal Penitenliary, in Euglish Historical Revieiv, juillet 1893.

(6) « Pour absolution du crime contre nature, ou avec des animaux, avec dispense et inhibition, on sera taxé 36 livres tournois, 9 ducats. »

Arcadie n°105, H.-J. Schouten, septembre 1962

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