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Le choix de moi, Hervé Mestron

Publié le par Jean-Yves Alt

« Il aura toujours ça dans sa vie » (p. 5). Dominique ne sait plus quand sa mère a prononcé cette phrase dont il ne comprend pas le sens. Il ressent seulement que ces mots sont incrustés définitivement dans sa tête et qu'ils reviennent sans cesse le troubler.

Dominique a choisi l'apprentissage de l'alto. Ce choix, il l'a fait à partir des mots de son professeur qui parlait de cet instrument comme d'une personne « ange, androgyne, au timbre voilé, ambigu, pouvant arracher le cœur du public » (p. 7). Il a aimé l'idée de jouer non pas sur un objet mais sur une « âme à la personnalité changeante » (p. 7).

La mère de Dominique pense que la musique est une alliée pour elle et son fils : « C'est elle qui a permis à son fils de s'en sortir » (p. 11).

Ce soir, Dominique s'est vêtu comme pour un concert. Sa mère constitue son unique auditoire. Mais tout se bloque dans ses articulations : il est incapable de jouer ; il sort de la pièce avec son alto sous le bras. « Ça y est, c'est fini » (p. 13). Il est soulagé. Il entend peu après la chute de sa mère dans les escaliers. A l'hôpital, il explique au médecin qui soigne sa mère qu'il a voulu offrir un concert à sa mère pour lui montrer qu'il en était « incapable » (p. 14).

Ce passage à l'hôpital lui remémore qu'il a connu, pour lui, les salles d'opération. Sa mère lui a dit qu'il avait eu une leucémie, guérie aujourd'hui. Il se souvient qu'il avait des tuyaux dans le ventre et qu'il portait une couche qu'il n'avait pas le droit d'ouvrir. On lui demandait d'être courageux. « Courageux, comme un bon garçon » (p. 19).

Pour que sa mère sorte du coma où elle est plongée, le médecin hospitalier demande à Dominique de jouer pour sa mère un petit concert. Mais comment rejouer comme avant ?

null« Il avait commencé à se sentir mal vers ses onze ans. Il se sentait "en dehors" de son corps. Il avait sans cesse l'impression que quelqu'un d'autre vivait en lui, comme un jumeau qu'il ne voyait pas. Il s'était cru rattrapé par sa leucémie et n'avait pas osé en parler. Toutes ces sensations bizarres qu'il ressentait, il les étouffait avec la musique. Avec son instrument, ses démons intérieurs ne pouvaient plus l'atteindre. Jouer de l'alto avait été ce bonheur incommensurable : échapper à la réalité. C'était le seul remède au mal diffus qui l'accompagnait. La musique était son espoir et son étoile, elle le protégerait toujours. Et s'il ne ressentait pas les choses exactement comme tout le monde, c'était certainement à cause de cette leucémie qui revenait pour le tuer, très lentement, comme un solo de contrebasse. » (pp. 23-24)

Dominique a grandi plus vite qu'il ne l'a voulu. Il s'est retrouvé adulte avant d'avoir vécu son adolescence. Le monde de ses camarades s'est refermé. Il ne comprend pas ce qui se passe en lui. Comment vivre sereinement quand sans cesse, on se pose la question de qui on est : fille ou garçon ?

Son corps ne ressemble pas à celui de ses copains : pas de barbe, pas de poils sur le torse ou les jambes. Une peau d'enfant. Sa voix n'a pas mué. Les filles le trouvent efféminé. Son sexe a conservé une petite taille comme quand il était enfant. Comment pourrait-il se déshabiller devant les autres ? Cela lui rappelle toutes ses rentrées scolaires où il a dû changer d'école.

Aujourd'hui, il a envie d'être une fille ; il présume que ce serait mieux que d'être ce garçon qu'on lui dit être. Ce désir entraîne la nécessité de chausser des escarpins, de se vêtir d'une robe, de se maquiller…

« Où est-il maintenant ? Dans quel camp ? Maquillé comme une vitrine de Noël, il déambule dans l'appartement comme un phénomène de foire. Il n'est encore qu'une chose mal terminée, un lendemain de fête. Il est redevenu cet enfant qui attend qu'on lui montre la route. Il est seul dans la pénombre de sa mise en scène sans même la menace du public. Il grelotte aussi, il a froid avec ses bras nus. Il aurait voulu se blottir dans le lit, contre sa mère, pour qu'elle lui dise en silence ce qu'elle attendait de lui. Que lui aurait-elle conseillé comme robe pour aller avec ce maquillage épais et ce foulard sur les cheveux ? Allait-elle enfin faire son travail de mère ? Car certaines choses se transmettent entre femmes d'une même lignée. » (pp. 30-31)

Dominique ouvre une armoire dans la chambre de sa mère. Il y trouve son dossier médical et les problématiques de sa mère : « Il apprendra la musique. Il sera musicien. Il aura toujours ça dans la vie » (p. 36).

Dominique comprend alors ses questionnements qui le hantent depuis si longtemps. Son corps lui apparaît de plus en plus concrètement : « Tu es une fille, mon petit gars » (p 40).

Dominique revient à l'hôpital où est toujours sa mère. Le personnel pense qu'il s'agit de la sœur du « garçon » qui vient jouer de l'alto pour sa mère. Cette dernière se réveille. Dominique vient de ramener sa mère à la vie.

Une postface de cinq pages du professeur Gérard Feldmann complète ce livre en donnant quelques informations sur l'hermaphrodisme qu'il différencie de l'identité transsexuelle.

Avec ce petit roman (dont la brièveté ne doit pas éloigner le lectorat adolescent), l'androgyne n'apparaît pas comme un être aux pouvoirs redoutables ; il devient cet être tronqué qui ne peut plus faire autre chose que chercher sa moitié perdue. Mais celle-ci est encore perdue en un second sens puisqu'elle est égarée au sein de l'humanité, ce qui pose la question de la quête amoureuse (non traitée – quel dommage – par Hervé Mestron) : recherche qui s'expose au risque majeur de ne pas trouver son objet et de s'enliser dans un interminable processus d'identification.

■ Le choix de moi, Hervé Mestron, Oskar éditeur, collection court métrage, 42 pages, 18 janvier 2013, ISBN : 979.1021400061


Lire aussi la chronique de Lionel Labosse sur son site altersexualite.com

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