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Le mythe de la virilité par Henri Studa

Publié le par Jean-Yves Alt

La langue française est réputée pour sa clarté, mais il serait peut-être excessif de conclure à sa supériorité absolue, sur les très nombreux idiomes en usage sur notre planète. La Presse nous fit savoir récemment qu'un jeune érudit japonais venu résider en Bretagne y apprit en deux ans le breton et qu'il écrivit une pièce de théâtre dans cette langue, ce qui lui paraissait plus facile qu'en français. Donc, tout est relatif et méfions-nous de notre chauvinisme. Ce qui est sûr, c'est que bon nombre de nos compatriotes usent à tort et à travers du vocabulaire français, et en particulier de l'adjectif « viril » et de son dérivé « virilité ». Mais cette question va beaucoup plus loin, comme on va le voir, qu'une connaissance exacte de l'étymologie.

Une station de radio, dite périphérique, émettait récemment une chronique sportive sur la motocyclette et sur la faveur qu'elle rencontre auprès des jeunes. Le conférencier se disait être tout à fait partisan du développement de ce sport pour la jeunesse, parce que « la moto est virile ». Celui qui écrit ces lignes, s'il n'est pas sportif, se souvient néanmoins d'avoir vu au cinéma un motocross féminin. Eh bien non, c'est impossible, puisque la moto est virile !

Dans un journal du soir, je crois, on présentait une nouvelle marque de cigarettes dont le paquet s'orne d'un idéogramme, et le journaliste de service déclarait que cette fameuse nouvelle cigarette se distinguait bien de la « virile gauloise » ! En quoi une cigarette peut-elle être virile ? Si l'auteur a pensé que la gauloise est une cigarette exclusivement pour hommes, il fera bien de regarder autour de lui dans la rue pour observer si quelques dames ne tirent de leur sac des paquets bleus ; il en verra certainement.

En réalité, la virilité est un archétype qui voisine avec beaucoup d'autres dans l'esprit obscur d'un certain nombre de nos contemporains. Le sexe masculin, s'il n'est plus honoré symboliquement à la manière antique sur nos places publiques, est resté l'objet d'une croyance priapique qui associe les attributs masculins avec les plus belles qualités humaines : courage, force, ténacité, adresse, etc.

On excusera le caractère un peu vulgaire de ce qui va suivre, mais il s'agit d'une scène vécue, montrant bien l'existence, de cette croyance ancrée chez les gens du commun. On déménageait des bureaux par les soins d'une équipe de manœuvres qui charriait de lourds classeurs d'un local à un autre en passant par un escalier étroit et fort raide. Un meuble métallique était arrivé au pied de l'escalier, et on lui avait fixé une corde qu'un homme tirait en haut, tandis que deux autres poussaient au-dessous. Mais le labeur était rude et le meuble ne montait guère ; l'un des équipiers du dessous, d'une stature moins forte que celle de ses compagnons, peinait visiblement. Alors, celui qui était en haut l'apostropha : « Quoi ? Tu y vas, oui ? Qu'est-ce que tu as entre les jambes ? » Ce qui était évidemment une manière de l'insulter, car dans l'esprit de ce brave déménageur, c'est à cet endroit-là que se trouve la force et l'ardeur. Quiconque a vécu autre part que dans les salons mondains (et encore !) sait bien qu'on pourrait composer toute une sémantique des expressions triviales dans lesquelles l'appareil sexuel masculin est mis en cause.

Ce qui est important n'est pas de constater le peu d'élégance de langage des gens qui nous entourent, mais de comprendre l'erreur monumentale qui se trouve incluse dans l'archétype populaire sur la fonction virile. Pour en revenir à notre déménageur, il pourrait avoir des muscles d'acier et une capacité sexuelle très réduite, car, en fait, cela n'a aucun rapport. Il existe, par opposition, de petits hommes malingres que la nature a fortement doués sur le plan de la reproduction. Par dérivation, l'obscurantisme populaire associe la forte virilité avec le courage moral, ce qui est encore plus faux. Comme on le sait, l'Histoire cite bien des guerriers valeureux qui n'auraient pas fait grand tort aux demoiselles. Mais le préjugé est tenace. Combien de fois voit-on dans la Presse, dès qu'il est question d'un homme célèbre, que ce soit un politicien, un sportif ou un cosmonaute, qu'un rédacteur ajoute : X... est marié et il a tant... d'enfants ? Je cite encore les grotesques algarades de certains parlementaires dans les couloirs de l'Assemblée : « Moi, Monsieur, j'ai fait la guerre, et j'ai quatre enfants. — Moi, Monsieur, j'en ai sept ! » Ils se jettent leurs marmots à la figure, ah mais !

On peut rire d'un travers bien français, ce qui est plus inquiétant est la conséquence de cet esprit dans le jugement du public sur les homosexuels, et même, d'une manière plus générale, sur quiconque dont la vie n'est pas axée sur la copulation hétérosexuelle, par exemple les vieilles filles, objets de risée ou de mépris. Pour l'obscurantisme de l'homme banal, les homosexuels sont des gens qui ne sont pas capables d'utiliser leur potentiel sexuel comme tout le monde et qui, de ce fait, sont des lâches, des instables, des asociaux, etc... Il n'est pas difficile, évidemment, de découvrir parmi les bons reproducteurs humains des hommes tout à fait lâches, tout à fait idiots ou incapables. Mais une minorité peut-elle jamais avoir raison ? – surtout dans un pays où, si la liberté des mœurs a fait de, sensibles progrès ces dernières années, la sexologie vue scientifiquement est généralement ignorée. Les sexologues ont reconnu que la fonction sexuelle se compose de deux facteurs : l'appétence et la puissance sexuelle, qui sont souvent des facteurs indépendants. Un coureur de filles n'est pas forcément un étalon, et inversement un lourdaud fort en sexe peut être incapable de faire des avances. En outre, la caractérologie n'est liée au sexe que d'une manière fort aléatoire et elle dépend le plus souvent de l'éducation ou de la pression sociale, voire des accidents, psychiques dont un homme ou une femme ont été les objets. A cet égard, il est significatif d'étudier les caractères, les habitudes de beaucoup d'homosexuels masculins, pour se convaincre, finalement que leur comportement social n'est guère affecté par leur manière d'utiliser leur virilité. Les actes de courage civil ou militaire ne manquent pas chez des hommes de notre époque, qui ne font pas mystère de leur homosexualité, et il serait très souhaitable que cela soit mieux connu. Si les homophiles souffrent souvent d'instabilité affective, cela provient des habitudes de dissimulation que la Société leur a imposées et, de ce fait, d'une méfiance chronique envers leurs semblables, devenue une seconde nature. Cela n'a rien à voir avec les caractéristiques de virilité propres à chacun qui sont, le plus fréquemment, ni plus ni moins valables que celles de n'importe quel citoyen dit « viril ».

Arcadie n°222, Henri Studa, juin 1972

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