Les attitudes des médecins face à l'homosexualité
Le Docteur Michel Gayda, psychiatre, psychologue clinicien, a soutenu une thèse de doctorat le jeudi 22 janvier 1981 à l'Université de Paris 7.
Le thème en était donc : les attitudes des médecins face à l'homosexualité.
Le jury était composé du Professeur Gagey, de Madame le Professeur Favez-Boutonier et du Docteur Postel.
On lira ci-dessous comment le Docteur Gayda présente son étude. Arcadie rend hommage au travail précieux et indispensable du Dr Gayda.
Cette thèse sur « Les attitudes des médecins face à l'homosexualité », s'est attachée à repérer et à analyser la manière dont les médecins réagissent face à la question et au comportement homosexuel.
Ce sujet est important à étudier car il correspond à une tendance latente ou manifeste de nombreux individus, et celle-ci est révélatrice à la fois de la dynamique psychique (la manière dont la vie psychique se structure dans sa réalité) et de la dynamique sociale : posant le problème de la norme et du sens social de celle-ci.
Pour ma part, en tant que psychiatre, ces questions m'ont paru essentielles pour progresser de façon authentique dans le traitement des individus en respectant leur personnalité, tout en ne négligeant pas la réalité omniprésente de la vie sociale et de ses contraintes.
La manière dont le médecin est investi socialement d'un savoir concernant des domaines qui touchent à la philosophie de la personne, ou à son comportement en matière sexuelle, m'ont paru en contradiction avec le contenu des études et l'observation de la pratique clinique des médecins.
Le discours médical quêté par les médias, dans ce domaine du comportement sexuel, m'a paru n'être qu'un reflet d'un discours social. L'analyse du cheminement de la pensée médicale montre comment les nouvelles données scientifiques, depuis le siècle dernier, ont été reprises par le groupe social et orientées de telle manière que son aboutissement n'en n'a pu être que gauchi.
Je pense, par exemple, à la manière dont au 19e siècle et au début du 20e, l'orientation médicolégale des aliénistes ne pouvait qu'amener à une version très particulière de l'homosexualité à travers les homosexuels rencontrés par ces médecins dans les prisons. Les descriptions de ces « aberrations » – pour reprendre les termes anciens – sont restées étonnamment vivantes car en accord avec l'orientation sociale.
De même, la psychanalyse du fait des observations faites par les psychanalystes au sein de leur pratique clinique ne pouvaient raisonnablement pas amener à la prétention de décrire l'homosexualité ou les homosexualités dans leur ensemble.
Or, les extrapolations spéculatives et la généralisation abusive à partir de ces isolés ont amené à une conception de l'homosexualité en accord avec le discours social où la médecine, la psychiatrie, la psychanalyse, la sociologie servent de caution scientifique et jouent donc une fonction idéologique telle que Adam Schaff la définit :
« Un système d'opinions qui, en se fondant sur un système de valeurs admises, détermine les attitudes et les comportements des hommes à l'égard des objectifs souhaités du développement de la société, du groupe social ou de l'individu. »
Ou, selon L. Althusser
« Un système possédant sa logique et sa rigueur propre, de représentations (images, mythes, idées ou concepts) doué d'une existence et d'un rôle historique au sein d'une société donnée. »
Outre l'histoire de la médecine (de la psychiatrie plus particulièrement) et de la psychanalyse, ce qui a confirmé mes hypothèses ont été les enquêtes et études de documents que j'ai réalisées.
— Une pré-enquête faite à partir d'entretiens semi-directifs, enregistrés auprès de 25 étudiants en médecine ;
— Une étude du contenu d'une des revues de médecine les plus diffusées et anciennes : Le Concours Médical, pendant deux années,
— Une deuxième enquête auprès de 30 médecins, faite d'entretiens non-directifs, enregistrés avec des médecins d'âges, de spécialités de type d'exercices, différents, et des deux sexes.
— Enfin, une comparaison des résultats obtenus avec ceux retrouvés dans un sondage réalisé en 1978 par l'I.F.O.P. (Arcadie n° 304).
De ces diverses enquêtes, on peut tirer les conclusions suivantes : d'une façon générale, ce ne sont pas des connaissances scientifiques qui étayent le discours des médecins concernant l'homosexualité.
Le niveau de connaissance précise à ce propos est plus élevé chez les médecins sensibilisés aux problèmes de la relation interhumaine (psychiatres, certains gynécologues, des généralistes ayant suivi des formations Balint).
Les opinions émises sur l'homosexualité sont sous-tendues par les réactions affectives du médecin, son milieu social et culturel. Elles se réfèrent et ne semblent qu'assez peu influencées par la pratique clinique (celle-ci dans son orientation dépend essentiellement de la personnalité du médecin).
Ces opinions ne diffèrent guère de celles relevées dans les sondages s'adressant aux français moyens.
Sur le plan de la consultation médicale, l'attitude du médecin en général sera bienveillante et non moralisatrice, extérieurement. Pourtant, les résistances à l'acceptation authentique de comportements sexuels différents est grande, et se révèle par le fait que nombre de médecins chevronnés ne perçoivent jamais la particularité sexuelle de leurs patients et, à fortiori, n'en parlent jamais avec leur clients.
La sexualité reste encore un domaine exclu de beaucoup de consultations. « L'observation et l'interrogatoire » du patient qui représente le premier temps de la médecine, depuis Hippocrate, est donc faussée du fait de l'exclusion, souvent inconsciente, par les médecins, du comportement sexuel.
Même des médecins spécialistes comme les gynécologues restent fréquemment à l'écart de la compréhension de comportements déviants comme l'homosexualité. Le haut niveau de connaissances anatomophysiologiques et pathologiques contraste avec une méconnaissance de ce que représente la vie sexuelle pour l'individu : autre chose qu'un objet que l'on peut soigner isolément du reste.
(Cf. page 206 à 211 de la thèse).
Les psychiatres interviewés se démarquaient par une mise en question assez fréquente de leurs attitudes personnelles et un essai de se situer dans le contexte de la société. C'est une tentative pour préciser le champ médical et leur rôle, au besoin, en faisant sortir des problèmes comme l'homosexualité qui ne sont pas, à priori, médicaux ou psychiatriques.
En cela, on peut dire que les psychiatres correspondent bien aux stéréotypes de marginaux de la médecine, propagé par leurs confrères. Leur démarche est en effet originale par rapport aux autres médecins : ils ne s'attachent pas à démonter le sujet en fragments, mais à le situer dans un champ rationnel, et donc, aussi à s'interroger sur le type de relations médecin-malade, ainsi que sur la demande du malade.
La formation psychanalytique, par la prise de conscience par l'analysant de ses propres tendances homosexuelles, est vécue par les sujets comme quelque chose de très important pour établir une relation plus authentique avec les malades, non seulement pour les comprendre, mais aussi pour les aider dans une relation psychothérapique.
La reconnaissance des mécanismes de défense à l'œuvre dans les propres attitudes du médecin, lui en donne un meilleur contrôle.
(Cf. pages 206 à 209 de la thèse).
L'enquête de l'I.F.O.P. de 1978 (Arcadie n° 304), donne un autre éclairage sur les réponses faites à notre étude. (Cf. pages 223 à 225 de la thèse).
Arcadie n°329, Docteur Michel Gayda, mai 1981