Les couples vus par Jacquemard-Senecal
« […] les couples. C'est pire. Les jeunes se tiennent par la main et marchent, le regard vide. Ni tendresse, ni désir. A la vérité, ce ne sont pas des couples. Je veux dire qu'il n'y a entre eux rien de romanesque ni rien de charnel. L'essentiel, d'ailleurs, est d'avoir une fille à trimballer au bout du bras à l'heure de la promenade. Cela rassure leur petite vanité et leur monumentale inquiétude. Ce n'est pas une femme, qui marche à leurs côtés, c est un signe extérieur de leur puissance et un certificat de normalité. La promenade finie, ils se séparent, la fille rentre pucelle chez papa-maman et le garçon va se caresser, solitaire, sans savoir tout ce dont mon cœur est plein.
Si tu leur en parles, ils deviennent tout rouges et te répondent (cramponne-toi) qu'ils sont trop jeunes pour faire l'amour ! Chiche que je leur prouve le contraire ?
Les vieux, de leur côté, s'estiment sans doute trop vieux et ne font plus l'amour depuis longtemps. L'ont-ils jamais fait ? J'en doute. Ils n'ont su faire que des enfants. En tout cas, ils ne se donnent pas la main, eux. Les femmes déambulent avec les femmes et parlent entre elles des autres femmes (pour en dire du mal, bien sûr) et aussi de ce qu'il est convenable de faire, et aussi de tout ce qu'elles voudraient voir interdit. La liste est longue ! Les lois ne sont pas assez sévères, chanson connue. Les hommes marchent entre hommes, ils parlent mécanique ou football. Finalement, le contrat de mariage une fois rempli et la société satisfaite, les groupes se reconstituent de façon homosexuelle. Ça donne à penser. »
Parole de Michel Mesnard dans L'énigme du Puits d'Enfer, un roman de Jacquemard-Senecal, Éditions Entre Chiens et Loups, 1987, ISBN : 2906540307, page 115