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Les lesbiennes durant la République de Weimar

Publié le par Jean-Yves Alt

Der Skorpion d'Anna Elisabet Weirauch (1887-1970) est un roman allemand sur l'homosexualité féminine en même temps qu'un document sur la vie des lesbiennes lors de la République de Weimar. Der Skorpion a l'intérêt de ne présenter l'homosexualité ni comme un stade infantile, ni comme un stade transitoire, ni susceptible d'être « corrigé ». Ce livre eut un important succès dans les cercles homosexuels de l'époque. Il fut brûlé par les nazis en 1933.

C'est à cette époque, surtout autour de Berlin, que s'est organisé le premier réseau de lesbiennes : les « Damenclubs ». Les clubs se différenciaient selon les origines familiales et les porte-monnaie de leurs adhérentes. Ils organisaient des conférences, des loisirs, ou étaient simplement des lieux de rencontre. On peut évaluer à une trentaine le nombre de groupes de ce type dans les années 20 ; certains ont compté jusqu'à 600 adhérentes.

Bien que le chômage et les difficultés de la crise aient rendu la vie très difficile pour de nombreuses lesbiennes, la relative liberté de la presse fait qu'à un moment donné, il y eut jusqu'à 5 journaux lesbiens : le plus connu était « Freundin » (l'Amie), qui parut entre 1924 et 1928. C'était un hebdomadaire qui s'adressait principalement aux femmes des classes moyennes.

Si les homosexuelles furent nombreuses dans le mouvement des femmes, elles ne se posèrent pas comme une force de pression en faveur de l'homosexualité ; le tabou était trop fort au sein du mouvement féministe et la peur de diffamation contre l'ensemble du mouvement ne fut pas sans efficacité.

Le principal combat des mouvements homosexuels était la suppression de l'article 175 qui criminalisait les rapports entre hommes. En 1909 un avant-projet pour un nouveau code pénal prévoyait l'extension de l'article 175 aux femmes. Quelques féministes réagirent en donnant des arguments formalistes. Hélène Stocker notamment exprima en 1911, l'opinion que cette extension aurait des conséquences désastreuses pour les femmes qui jusque-là habitaient ensemble pour des raisons économiques puisque cela permettrait tous les chantages. Le SPD et le KPD (Parti socialiste et Parti communiste) réclamaient la suppression de l'article 175, mais leurs adhérents restaient marqués par les valeurs morales de l'époque. Les communistes trouvèrent que l'homosexualité était « anti-prolétaire » : « Qui même pense à l'amour entre hommes ou entre femmes est notre ennemi. Tout ce qui châtre notre peuple, qui fait le jeu de ses ennemis, nous l'éliminons... Nous réprouvons pour cela toute impudicité, avant tout, l'amour entre hommes car il nous vole la dernière possibilité de jamais libérer notre peuple des chaînes de l'esclavage, sous lesquelles il ploie aujourd'hui. » (réponse à la campagne pour la suppression de l'article 175 en 1928)

Les organisations homosexuelles furent interdites après la prise du pouvoir le 30 janvier 1933 et durent suspendre leurs publications, leurs adhérents/es furent arrêté et poursuivis en justice. L'institut de sexologie d'Hirschfeld fut pillé et détruit par des étudiants en sport. Des milliers de livres, ouvrages d'écrivains « dégénérés » furent brûlés le 10 mai 1933. L'ancien article 175 fut jugé trop libéral et à travers la réforme pénale de 1935, le juriste Rudolf Klare cherche la « solution finale » pour l'homosexualité. Là encore, l'extension de la loi aux femmes fut discutée. Ils y renoncèrent pensant qu'il serait trop difficile de faire la distinction entre les lesbiennes et les hétérosexuelles. Il est clair qu'un châtiment de l'homosexualité féminine aurait signifié un début de reconnaissance de la sexualité féminine. Pour les nazis, le lesbianisme est moins répandu que l'homosexualité masculine, c'est une « pseudo-homosexualité » (due à « l'absence » d'hommes). Elle n'est pas un problème politique du fait que les femmes n'ont pas d'énergie procréatrice, de valeur à gaspiller. En raison de l'éloignement des femmes de la vie publique. Le danger de séduction de femmes « normales » par de « mauvais exemples » se trouvait considérablement réduit. Il est difficile de savoir exactement comme s'est organisée la répression des lesbiennes.

Jenny Sara Schermann née à Francfort en 1912 dont le mobile d'arrestation comme lesbienne a clairement été inscrit sur la fiche signalétique du médecin tortionnaire de Ravensbrück. Jugées d'abord comme asociales, les lesbiennes portèrent plus souvent des triangles noirs que des triangles roses. Il semble que le triangle rose explicité par les initiales « LL » Lesbiche Liebe » (amour lesbien) ait surtout été porté par des lesbiennes en vertu de l'article 176 pour détournement de mineures.

Bibliographie :

■ Anna Elisabet Weirauch, Der Skorpion (trilogie), 1919, 1921, 1931

Claudia Schoppmann, Der Skorpion (Frauenliebe in der Weimarer Republik), Edition Frühling Erwachen 8, 1985, ISBN: 3922611028

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