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Entre les lignes : Les usages de Marigny par Jacques Fréville

Publié le par Jean-Yves Alt

Chers cousins d'Arcadie,

Si, au printemps prochain, votre humeur vous conduit dans la région orléanaise, permettez-moi de vous inviter à visiter un village perdu, à quelque chose comme une dizaine de kilomètres d'Orléans : quatre ou cinq maisons, un bistrot, une mini-mairie, une église aux allures de chapelle, tout cela jeté dans une clairière de la forêt. Le nom ? Il est charmant : Marigny-les-Usages.

Au cours de l'été dernier, au hasard d'une randonnée sur les bords de Loire, je l'ai découvert ; et ma découverte a créé parmi les indigènes un émoi général. Pensez donc... une voiture qui n'était pas du pays ! Cela était si insolite que je pense que la chose a dû donner matière à commentaires pour tout l'hiver.

L'Eglise est placée sous le vocable de saint Saturnin, et dotée de reliques des trois évangélisateurs de Paris : Denis, Eleuthère et Rustique. Je laisse à l'auteur des Clefs de saint Pierre le soin de nous dire ce que nous devons penser de leur authenticité. Le monument n'a pas le moindre intérêt ; le mobilier consiste en un bric-à-brac poussiéreux qui n'obtiendrait preneur dans aucune salle de ventes, même de sous-préfecture auvergnate.

Les murs de la nef, néanmoins, sont ornés de deux curieuses toiles, aux dimensions également importantes, et qui requièrent, je pense, une attention particulière.

Elles furent peintes, semble-t-il, vers la fin du siècle dernier, dans une manière douceâtre et pontifiante, par un « artiste », sans doute régional, et animé des meilleures intentions.

L'une d'elles représente la Madeleine aux pieds du Christ et porte cette légende : « Il lui a beaucoup pardonné parce qu'elle a beaucoup aimé ». (Le mot-clef se trouve « grossoyé à la ronde »).

L'autre croûte figure une Cène, inspirée, plus encore que celle de Vinci, par le « Banquet » platonicien, avec cette autre légende : « Saint Jean était le disciple que Jésus aimait » (même observation que pour la précédente).

L'incroyant, devant ces deux tableaux, pourra songer au mot d'Anatole France : « Chacun fait son salut comme il l'entend » ; et le croyant songera peut-être à cette parole de l'Evangile : « Il y a plusieurs demeures dans la Maison du Père ».

Les usages de Marigny, décidément, sont assez éclectiques... Il suffit d'ailleurs, pour s'en convaincre, de jeter un coup d'œil sur le confessionnal. Il est unique. L'église n'est pas désaffectée. Il sert de placard pour les vieux balais.

Si donc, quelqu'un de ces dimanches, vous avez l'humeur vagabonde, n'hésitez pas, cousins ; aller rêver à Marigny, et observez la tête de la bistrote-mercière-épicière-marchande de journaux (« la » commerçante du pays). Cela aussi vaut le déplacement ; vous lui poserez autant de problèmes que l'énigmatique T.V.A.

Bonsoir, mes chers cousins. Je suis trop paresseux pour en dire davantage.

Votre cousin de Béotie,

Jacques Fréville

Arcadie n°171, mars 1968

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