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À propos de littérature enfantine par Roger Foucher

Publié le par Jean-Yves Alt

Il me faut vous faire un aveu dont, tout bien pesé, je ne parviens pas à avoir honte : quand votre serviteur a besoin d'un moment de détente, il se plonge dans la lecture des illustrés pour la jeunesse.

Eh oui... Il m'est impossible de fréquenter à longueur d'année les beaux esprits morts ou contemporains sans faire, de temps à autre, la lecture buissonnière. A chacun ses petits travers. Je me purge de cent pages de Sartre ou de cent vers de Boileau en feuilletant « Tintin » et appelle cela ma « culture compensée ».

Certains d'entre vous ricaneront, hausseront les épaules, trouveront ce dérivatif aberrant. D'autres souriront en se disant : « Le pauvre type »... avec la commisération due à un sous-développé intellectuel. Sans doute auront-ils raison et peu m'importe car je ne cherche pas d'excuses ; les éléments de réponse seraient par trop faciles à trouver.

Le cinéma en use-t-il autrement en vous offrant les esquimaux de l'entr'acte et un dessin animé avant le film de terreur ?

Combien de chefs d'entreprises, guindés dans leur vie professionnelle, jouent au chemin de fer chez eux sous prétexte d'en monter les rails ?

Combien de mamans bichonnent la poupée durant le sommeil de leur fillette ?

Diversions, défoulements, folie douce, si vous voulez, mais rien de plus et, surtout, rien de dangereux.

N'allez cependant pas croire, à l'appui de cet étrange préambule, que j'aie l'intention de mettre Arcadie à l'heure de Nounours ou du Manège Enchanté.

Mon ambition est tout de même différente, disons plus vicieuse, j'en accepte la gageure.

Revenons donc à l'objet de notre propos, c'est-à-dire aux remarques suggérées par ces lectures en apparence si anodines. Réflexions dont aucune, je crois utile de le préciser, ne date de l'enfance. Il est vrai que les gosses lisent sans approfondir comme ils apprennent pour réciter, sans analyser. « La culture, disait Edouard Herriot, c'est ce qui reste quand on a tout oublié. »

J'ai donc noté, après presque un demi-siècle d'incompréhension, d'incurie grasse ou de subconscient baladeur, un point commun à la plupart de ces écrits : ils ne font pas la part très belle à la femme.

A l'appui de cette constatation, les exemples abondent :

Pim et Poum exécutent leurs mauvaises blagues au nez et à la barbe d'une tante Pim grotesque, plus victime de sa stupidité incurable que des tours pendables de ses affreux Jojos. Miss Ross, pionne revêche au physique ingrat est régulièrement « offensée dans sa dignité » mais ne parvient pas pour autant à faire régner l'ordre dans le travail et la discipline qu'elle est censée incarner. Quant à Léna, petite espiègle à claquer, elle irrite plus qu'elle n'amuse par ses mesquines hypocrisies. On éprouve plus de sympathie pour le « Capitaine » et « l'astronome » qui s'allient souvent aux gamins leurs « bêtes noires », contre la tyrannie des femmes.

Ailleurs, Tartine est une centenaire dont les exploits, plus dignes de Tarzan que d'une vénérable aïeule, font certes rire, mais, qui trouverait en cette horrible mégère couverte de longs poils, de verrues immondes, sous ses camisoles, ses bottines, ses jupons festonnés et ses gants tricotés le moindre élément de sensualité ou de désir ?

Les Pieds-Nickelés, personnages d'âge mûr, ne voient jamais échouer leurs malhonnêtes entreprises par la faute d'une vamp trop capiteuse dont un des membres du trio serait tombé amoureux.

A noter, dans les citations qui précèdent, un autre point commun : le vague des relations familiales. Il n'est jamais question d'une famille établie, nommée, répertoriée, fichée à l'État Civil, casée, étiquetée. On ne sait trop au juste quels liens unissent ces partenaires disparates aux caractères opposés.

Remarque encore plus valable pour Pipo et Concombre qui vivent en compagnie d'un petit moujik exilé et du loup Pougatchoff.

Les sept nains des Frères Grimm sont de vieux célibataires. Si le passage dans leur maison de Blanche-Neige paraît un temps les troubler, c'est plutôt parce que la Princesse, personnage de rêve en maraude, concrétise un moment le besoin d'ordre et d'hygiène ménagère innée au cœur de l'homme. Ils n'en reviennent pas moins à leur vie bohème dès que leur providentielle amie les quitte.

Walt Disney a inventé le personnage de Minnie postérieurement à celui de Mickey pour corser et faire rebondir une série d'intrigues qui s'étiolait et commençait à traîner en longueur.

Si nous puisons dans les bandes dessinées, la « Famille Illico » narre les inconvénients du mariage. Un mari bafoué et tourmenté ne sait quelle ruse inventer pour échapper aux persécutions de son affreuse mégère.

Relevons donc que la plupart des héroïnes féminines de ces histoires sont laides, désagréables, ridicules, antipathiques.

S'il se pointe – par inadvertance, pourrait-on croire – un joli minois à l'horizon, il appartient à une créature de rêve intouchable, sacrée ou inaccessible.

En revanche l'homme, même caricaturé, conserve un certain prestige ; tel Popeye, le Matamore, à qui les épinards rendent force et courage tandis que son épouse Olive reste l'éternelle pleurnicheuse aux cheveux et aux traits tirés.

Le « Fantôme » est aimé de loin par sa Diane, d'un amour très platonique. Le lecteur a nettement l'impression que la réalisation concrète de ce bonheur en instance mettrait un point final aux tribulations du justicier.

Il serait fastidieux de poursuivre cette énumération. Il se peut d'ailleurs que l'on m'oppose autant d'arguments contraires mais, à la vérité, j'en doute. J'ignore, et pour cause, si la littérature à l'usage des filles est passible des mêmes jugements. J'espère qu'une amie Arcadienne voudra bien combler cette lacune.

Je m'aperçois aussi que je viens sans doute d'apporter de l'eau au moulin de ceux qui prétendent que la majorité des homophiles est composée de passéistes, d'attardés braqués sur leur monde infantile et qui n'ont su s'en dégager à temps.

Peut-être ont-ils raison, bien que nos vies si difficiles à ordonner et souvent si déchirées s'inscrivent en faux contre de telles assertions. Mais ce terrain n'est pas le mien et, de plus, quelle importance a-t-il ? Nous ne sommes pas les plantes d'un jardin botanique qu'il convient de classifier à tout prix en les étiquetant d'un nom prétentieux. Je n'ai voulu que constater un état de fait sans prendre parti ni me laisser entraîner à des digressions inutiles.

Le moment semble donc opportun, non pour tirer une morale mais quelques enseignements de cette très superficielle étude qui, malgré la profession de foi formulée sur la couverture de notre revue n'a pas un caractère très littéraire et encore moins scientifique. Ce sont des remarques, des annotations et RIEN D'AUTRE.

Toutefois ces facéties imprimées sont destinées à l'enfance et à l'adolescence. Elles sont régies par une loi X... du tant de telle année ; loi que je me refuse à rechercher dans les archives du Journal Officiel.

Sans doute ladite loi est-elle très prolixe en interdictions, en règlementations mais pèche-t-elle aussi, comme toutes les lois, par manque d'esprit ; entendons par là que l'esprit qui l'a inspirée n'est pas transcrit dans son texte. Autrement dit, elle pèche par omission.

Car, dans l'esprit du législateur, du sociologue, cette littérature enfantine doit préparer l'enfant à son rôle social de citoyen, d'électeur, de soldat, de contribuable, de père de famille. Est-ce le cas ? Nous venons, je crois, de démontrer surabondamment le contraire. Elle est un modèle de repli sur soi, de fuite devant les complications de la vie d'homme adulte. Sans être foncièrement immorale, cette prose va fort loin dans la non-moralité (du moins au sens bourgeois du terme et selon l'esprit de nos censeurs).

Il me semble que l'éthique morale d'Arcadie a toujours été d'un niveau très supérieur à ces niaises dérobades qui ont pour objet avoué de distraire et pour but essentiel de se vendre en restant dans les extrêmes limites permises aux confins de la légalité et de l'illégalité. J'ai en effet volontairement passé sous silence les publications qui ne sont que des appels déguisés au crime et à la violence. Il n'en demeure pas moins, d'après ce que nous venons de voir, que la vente d'Arcadie devrait être interdite aux plus de seize ans.

Et ce vœu n'a rien de péjoratif ou de blasphématoire ; c'est, au contraire, un hommage !

Arcadie n°168, Roger Foucher, décembre 1967

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