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La littérature homophile par André Baudry

Publié le par Jean-Yves Alt

Le public, pour connaître ou pour étudier le problème homophile, dispose de la littérature, des journaux, de certains établissements dits « spécialisés ».

Ne citons pas les rares œuvres scientifiques, le public, en général, ne les connaît pas, ou ne les lit pas.

Ce qui, naturellement, en ceci comme en beaucoup d'autres choses, ne l'empêchera pas de juger et de condamner.

Nous avons dit ce qu'il fallait penser de la presse quotidienne ou hebdomadaire lorsqu'elle s'avise de parler d'homophilie. Elle ne connaît que les crimes, les histoires louches, les viols.

Les établissements dits « spécialisés », bar, cabaret, n'offrent trop souvent au consommateur ou au spectateur que le visage ridicule de certains individus ; c'est pourquoi, pour beaucoup, l'homosexualité n'est faite que de garçons maniérés, excentriques dans leurs façons de se vêtir, de parler, de marcher, en un mot « efféminés », que de femmes aux allures masculines.

Resterait peut-être la littérature, je veux dire, les romans. Les romans de ces dernières années, et les listes publiées dans cette revue éclairent à la fois sur le nom prestigieux de certains de ces écrivains, et le nombre d'œuvres éditées ; peuvent-ils représenter un visage plus vrai de l'homophilie masculine et féminine ?

Il n'est pas dans mes intentions, ici, de faire de la « critique littéraire » ni de passer en revue tous les livres publiés.

Je ferai d'abord cette remarque préliminaire.

Il serait prétentieux de ma part, par exemple, de dire qu'après toutes les auditions et toutes les lettres lues de milliers d'homophiles, je connais maintenant parfaitement ce problème. J'ai encore beaucoup à entendre, à voir, à méditer.

N'oublions donc pas que la plupart de ces écrivains rapportent un cas, celui de leur héros, et qu'il ne faut donc pas en tirer des lois générales sur la nature ou sur le comportement homophiles. Le cas psychologique qu'ils nous décrivent est le cas clinique que les philosophes ou les sexologues et psychiatres étudient.

Disons encore : il y a peu de livres qui retracent la vie d'homophiles adultes. La production littéraire est presque uniquement consacrée aux amours de l'adolescence.

Le plus connu, parce que le meilleur, parce que le plus poignant, comme le plus classique et dans son style et dans sa psychologie, est et demeurera le merveilleux roman de Roger Peyrefitte, Les Amitiés particulières. Cent vingt mille exemplaires ont été vendus en France. Il est traduit dans presque toutes les langues étrangères. Qui dira les millions d'hommes qui ont lu ce récit ? Mais qui saurait dire comment ils jugent maintenant les amitiés particulières... de leur fils, par exemple ?

Soulignons que l'abbé Oraison dans son fameux livre si souvent cité souhaite voir tous les éducateurs, laïcs ou prêtres, lire attentivement cette excellente étude de la vie des adolescents.

Toute la littérature de l'adolescence, à quelques exceptions près, est propre. Propre, pour qui au départ, comprend le problème homophile.

Je songe à Que passe le vent d'avril de Jean Busson, Métrobate de Maurice Pons, Corps interdits de Maurice Périsset, Un garçon près de la rivière de Gore Vidal, On ne brûle pas l'eau de Madeleine Sabine, Nicolas Struwe de Lucien Farre, et à beaucoup d'autres.

Ces auteurs nous content les amitiés amoureuses de jeunes adolescents, tout simplement parce qu'elles existent, nombreuses, émouvantes, graves, souvent pures, parfois tragiques.

Je dis donc, la littérature de l'adolescence est à lire, elle ne peut pas inspirer le dégoût ou la condamnation.

D'ailleurs, beaucoup de lecteurs se retrouvent dans tel héros, dont il a vécu les amitiés particulières.

Je ne dirai pas la même chose du roman d'Eric Jourdan, Les mauvais anges, qui est à la limite du vraisemblable. Je sais que les adolescents peuvent connaître de furieuses amours sensuelles, je crois pourtant que presque toujours les amitiés homophiles des adolescents sont très différentes des relations hétérosexuelles entre adolescents.

Peu de livres racontent les amours d'un adolescent et d'un homme. Cela vaut mieux. Ce que j'écrivais le mois dernier à propos de la pédérastie s'applique ici. On ne comprendrait pas.

Et il y a maintenant les autres livres, l'amour de deux homophiles adultes.

Beaucoup de lecteurs ne cessent de dire : le héros se tue toujours. Les homophiles se suicident donc toujours ? pourtant je connais...

L'un des meilleurs livres écrit en hommage à l'amitié de deux hommes, est sans conteste le captivant et bouleversant roman de Walter Baxter, Le chemin des hommes seuls.

Livre dense, dont l'action se déroule pendant la guerre, et qui nous fait participer à la terrible aventure héroïque et amoureuse d'un officier et de son ordonnance. C'est une amitié très solide, faite de foi, de renoncement, de sacrifice, de charité.

Il est unique.

Ou alors nous avons des romans qui évoquent des amours quasi impossibles, ou bien étranges, comme les œuvres d'André du Dognon. Qui, pourtant, n'a pas été ému dans L'homme-orchestre, au récit de la fin d'Albert, sur un lit de sanatorium, sa main dans celle de celui qui l'aima beaucoup ? Cela rejoignait toutes les séparations humaines ; là, il n'y avait plus homophilie ou hétérosexualité, mariage consacré par la loi et par le sacrement, il y avait simplement l'amour que se portèrent deux êtres durant de longues années et dont les liens charnels et terrestres sont sur le point de se dissoudre.

Et comme je l'ai déjà écrit, devant tout ce qui est humain, devant l'amour, qui a le droit de sourire, de condamner, de blesser ?

Faut-il citer Le malfaiteur de Julien Green ?

Déjà le titre est difficilement acceptable... je ne comprends pas qu'un homme ou qu'un auteur qui se dit « malfaiteur » continue à pratiquer la vie qu'il condamne, je ne le trouve pas courageux de se tuer ; ne devait-il pas s'amender alors ? ou reconnaître, simplement, qu'il n'est pas un malfaiteur, même si le dire et l'écrire brisera des relations ou des avantages uniquement basés sur l'hypocrisie mondaine ?

Dirai-je d'un mot, ici, que la raison de vivre d'Arcadie est d'empêcher que les homophiles se croient des malfaiteurs, et par suite, les éduquer pour qu'ils vivent à côté de tous les autres hommes ?

Ceux qui font mourir leur héros, comme dans Jean-Paul, détruisent du même coup toutes leurs théories. J'ai beaucoup aimé Jean-Paul, je l'ai écrit dans la revue suisse, je ne me renierai pas, j'ai aimé cette lutte ardente, farouche, seul ou avec un directeur de conscience, lutte inévitable pour qui croit à l'Eglise et veut respecter ses lois, mais Jean-Paul meurt ; il eut été cependant particulièrement intéressant de savoir comment il aurait parcouru tout son long chemin de vie terrestre.

Il n'y a donc pas dans la littérature actuelle, le récit sincère de la vie d'un homophile comme fort heureusement vivent la plupart des homophiles.

Mais nous savons que la plupart des romans hétérosexuels exposent aussi des cas limites. C'est la littérature qui le veut.

Mais alors ne cherchons pas dans la littérature romanesque le vrai visage de la vie de la majorité, dans ses actions journalières.

La littérature homophile pas plus que l'autre littérature n'éclaire totalement.

A ceux qui sont tentés d'établir des statistiques, je dirai encore, en ce qui concerne les romans sur l'adolescence : ne vous empressez pas de crier que la plupart des homophiles sont attirés par les jeunes gens.

Redisons que ces romans sont des aventures d'adolescents entre eux. L'homophile peut simplement revivre sa jeunesse avec les George et les Alexandre.

Je conclurai ainsi : la littérature, beaucoup mieux que la presse peut et devrait instruire le monde du problème homophile. Ou souhaitons que la presse, qui a une telle influence sur le public, lui dise ce qu'est exactement l'homophilie.

Mais l'aube de ce jour ne se lèvera pas demain. Arcadie doit donc vivre de longues années.

Arcadie n°35, André Baudry, novembre 1956

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