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Montherlant ou le paradis à l'ombre de la mort par André du Dognon

Publié le par Jean-Yves Alt

Le suicide – avec le rire –, la seule chose qui soit propre à l'homme, a besoin de temps en temps d'être réévalué. Le sang de la mort, c'est la gloire et, certes, avec celle de Montherlant, la mort vient de retrouver ses lettres de noblesse.

J'avais écrit que j'aurais aimé reposer pour l'éternité dans un cimetière militaire comme beaucoup des miens et avec la même inscription : « Tombé à la tête de ses hommes ». Montherlant aurait pu sans doute être porté au cimetière de Picpus, dans cet enclos réservé, où ses ascendants sont enterrés, avec les martyrs de la Révolution et où chaque tombe d'un Polignac, d'un La Rochefoucauld, d'un Noailles, est comme un chef-d'œuvre en péril gardé par de pâles religieuses en blanc qui, ô comble du masochisme, prient pour leurs bourreaux, pour l'instant encore, à l'écart de l'enfer de béton et de ferrailles qui nous recouvre peu à peu.

Montherlant, lui aussi, fut un martyr. De son exigence. Pour se punir de ne plus être jeune, lui qui adorait la jeunesse, il s'est condamné au suicide qui n'est permis qu'à vingt ans. Il n'est monté à l'assaut de la gloire que pour tomber de plus haut et nous scandaliser davantage. Son dernier ouvrage, le voilà, et tiré à des millions d'exemplaires.

D'autant plus espagnol qu'il ne l'était aucunement, il a joué avec la mort toute sa vie et en a vécu des dizaines. Il se l'était déjà donnée dans « La Rose de Sable » où il était assassiné la nuit par les Arabes. « On est toujours tué par ce qu'on aime », écrivait Wilde. J'y ajoute le contraire. C'est le déplaisir et la vieillesse qui ont tué Montherlant.

Quand notre propre visage ne nous est plus supportable, celui de la mort seul paraît beau et la ciguë n'est pas loin. Quelle tentation pour lui de descendre au tombeau, dans son armure, comme un Médicis !

Si nous avions mieux compris « La Marée du Soir » nous aurions été plus près de ce vieux cœur d'enfant. A-t-il manqué à ce Saül un petit David ?

Sa fin est la preuve que tout était vrai dans son œuvre comme dans sa vie. Depuis longtemps il connaissait son assassin, depuis qu'à quinze ans, à Sainte-Croix-des-Neuilly, dans ce collège dont il était le Prince, il avait voué un culte aux Romains. Au XVIe siècle, à Florence, il n'aurait eu qu'à sortir un soir dans une ruelle pour le rencontrer. Moins patient que le roi Ferrante, il n'a pu supporter que le sabre passe et repasse sur sa tête et n'a voulu tenir la mort que de lui.

Arcadie n°228, André du Dognon, décembre 1972

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