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Quand « dire » n'est plus un aveu mais une tirade quasiment apprise par cœur par Jean-Paul Tapie

Publié le par Jean-Yves Alt

— Je ne crois pas que le mot péché figure dans le vocabulaire de Hugues ! Il culpabilise très peu au sujet de sa sexualité !

— Qu'en savez-vous ?

— C'est mon frère...

— Et alors ? C'est d'abord un homosexuel et un homosexuel est toujours un peu un étranger.

— Nous n'avons jamais été des étrangers l'un pour l'autre, ça je peux vous le garantir !

— Mais si ! Souvenez-vous... Il y a bien eu quelques années pendant lesquelles il ne vous a rien dit de ce qu'il ressentait pour les garçons. Il vous a même probablement menti. Il a exagéré son intérêt pour certaines de vos copines. Il vous a raconté des bobards sur ses flirts. Il ne vous disait pas ce qu'il avait fait certains soirs quand il rentrait tard, de mauvaise humeur, un peu nauséeux, et qu'il allait se coucher sans un mot... Vous avez vécu plusieurs années auprès d'un étranger sans vous en douter.

— Oui, mais dès qu'il m'en a parlé...

— Quand il vous en a parlé, il y avait des années qu'il rédigeait encore et encore le brouillon de ce qu'il allait vous dire. Ce n'était plus un aveu, c'était une tirade, quasiment apprise par cœur. Parce qu'il avait peur de ce qu'il allait vous dire ce jour-là. Peur d'en dire trop, peur de le dire mal. D'ailleurs, il ne vous a sûrement pas tout dit. On ne peut pas tout dire. Ce ne sont pas des mots que l'on a l'habitude de prononcer à haute voix devant autrui. Pas même devant soi. Vous comprenez, tout ça, c'était nouveau pour lui. Il vous parlait d'une autre vie. C'était devenu la sienne, bien sûr, mais ce n'était pas celle à laquelle on l'avait préparé. En fait, sa vie, il a dû l'improviser, comme j'ai dû improviser la mienne. À dix-huit ans, brusquement, vous n'avez plus aucun repère devant vous. Envolés, le mariage, la naissance des enfants, la nécessité d'assurer le quotidien. C'est très déstabilisant d'avoir devant soi une vie entièrement inconnue à inventer. C'est sans doute pourquoi tant de gays souhaitent retrouver ces repères, le mariage, les enfants. Tous ces manques, toutes ces différences, on finit par les ressentir comme une punition, un châtiment, une pénitence. Et qui dit pénitence dit péché.

— Je comprends. Enfin, je crois... Je me souviens qu'un jour... Cela va dans le sens de ce que vous venez de dire... Je me souviens qu'un jour, par étourderie, je lui ai dit : « Au fond, tu étais fait pour être ce que tu es ! » Il m'a répondu que je ferais mieux de me taire. Il a employé une expression plus triviale. Je ne l'avais jamais vu dans cet état.

Elle est devenue songeuse et s'est mise à jouer avec le collier de la Castafiore.

— Je n'ai jamais vraiment évoqué avec lui cette partie de sa vie, mais je crois qu'il en a bavé quand il était plus jeune. Mes autres frères ont été durs avec lui. Hugues ne s'est jamais plaint, mais mes frères, eux, se sont vantés, à l'occasion. J'ai entendu raconter qu'un jour ils l'avaient pratiquement forcé à coucher avec une fille pour lui faire passer ses goûts.

Jean-Paul Tapie

in « Ils m'appelaient Fanchette », H&O éditions, 2012, ISBN : 9782845472433, pp. 111/112

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